Ceux qui ont vu en direct l'émission Apostrophes en mars 1985 ne l'ont pas oubliée et William Boyd certainement pas non plus, devant l'enthousiasme communicatif de Bernard Pivot, proposant de rembourser les lecteurs déçus de Comme neige au soleil. On ignore s'il y eut beaucoup de demandes auprès de l'animateur car ce fut surtout le début d'une histoire d'amour entre l'auteur britannique et les lecteurs français. Après plus de 35 ans de compagnonnage fidèle et une vingtaine de romans ou recueils de nouvelles, Trio ravira encore les inconditionnels de l'écrivain, tant on y retrouve son sens inné de la narration, son style délié et cette ironie permanente mais bienveillante à l'égard de ses personnages. Trio est un titre un peu trompeur car les trois protagonistes principaux n'en forment pas vraiment un, ne se rencontrant presque jamais. Cependant, ils sont tous les trois plus ou moins concernés par le tournage d'un film, an août 1968, du côté de Brighton : son producteur, son actrice principale et une romancière qui n'est autre que l'épouse copieusement trompée du réalisateur. Trois personnages qui ont quelques problèmes majeurs : orientation sexuelle déniée, médicaments et mauvaises fréquentations, alcoolisme aggravé, selon les cas. A ce trio assez haut en couleurs s'ajoute une palanquée de seconds rôles, plutôt gratinés, eux aussi. Comme Jonathan Coe dans Billy Wilder et moi, Boyd utilise le monde du cinéma comme prétexte à une comédie de mœurs irrésistible et féroce, dans une veine tragi-comique dans laquelle il excelle. C'est brillant, caustique et passionnant. Eh bien oui, comme toujours depuis 35 ans avec cet écrivain qui ignore ce qu'est un rendez-vous manqué.