Nostalgie d'une Amérique fantasmée
"Tristesse de la Terre" parle de l'invention du mythe originel de l'Amérique. La création du spectacle Wild West Show, fil rouge du récit, rend visible le processus de réécriture de l'Histoire, le passage du récit scénique à l' « Éternité ». La photographie, qui ponctue l'ouvrage, fige aussi personn(ag)es et situations dans une postérité emplie de facticité, tels Sitting Bull et Buffalo Bill se serrant la main, et le roman lui-même, que l'on sent solide quant au fond historique, joue avec le point de vue de l'auteur dont la présence est tangible (« j'imagine »...) et avec notre propre position de lecteur.
On pourrait ainsi ne voir en le livre d'Eric Vuillard que la dénonciation d'une imposture, rendue flagrante notamment par la juxtaposition de deux chapitres, qui nous racontent successivement le massacre de Wounded Knee puis la bataille de Wounded Knee. La seconde, réécrite par le show puis les livres d'histoire, vante la dignité de l'armée américaine face à un adversaire qui aurait été à armes égales.
Mais "Tristesse de la Terre" nous parle avant tout de nostalgie, liée à un passé fantasmé : « On ne sait quelle image ancienne, rêvée, nous remplit de regrets. Mais que regrette t-on ? Quelle société ? Quel idéal ? Quelle douceur ? »
On aime le regard sobre, empreint de compassion, sur cet Indien mourant seul dans un hôpital en France. On est touché par la description -elle aussi fantasmée, sans doute- de la solitude de Sitting Bull chevauchant, déraciné, au milieu de l'arène du spectacle. Même Buffalo Bill, businessman de l'Ouest, nous émeut, et s'il transforme un massacre en bataille, il héroïse par là-même le vieux Sitting Bull, le représentant en combattant hardi et offensif – hommage adoptant les codes américains, certes...