François Kérel donne des extraits significatifs fort bien choisis (107 poèmes) des cinq recueils poétiques de Mandelstam :"La Pierre", "Tristia", "Poèmes 1921-1925", "Poèmes non publiés 1930-1934" et "Cahiers de Voronèje 1935-1937". Sa préface reste pertinente. C'est l'édition la plus ancienne (1982) et la plus accessible en livre de poche. Usé, jauni, surchargé de notes... mon exemplaire me sert encore !
Ossip Mandelstam à Anna Akhmatova et Boris Pasternak :
"Je suppose que je ne devrais pas me plaindre. J'ai la chance de vivre dans un pays où la poésie compte. On tue des gens parce qu'ils en lisent, parce qu'ils en écrivent."
LENINGRAD
"Je suis revenu dans ma ville familière jusqu'aux sanglots,
Jusqu'aux ganglions de l'enfance, jusqu'aux nervures sous la peau.
Tu es de retour, avale donc d'un trait
L'huile de foie de morue des lanternes de Leningrad sur les quais !
Le petit jour de décembre, reconnais-le bien vite
Au jaune d'œuf dissous dans le goudron sinistre.
Petersbourg ! je ne veux pas encore mourir :
De mes téléphones, tu as les numéros.
Petersbourg ! J'ai les adresses d'autrefois
Où je reconnais les morts à leurs voix.
J'habite l'escalier de service et la sonnette
Arrachée avec la chair tinte dans ma tête.
Et toute la nuit jusqu'à l'aube j'attends les hôtes chers
Et les chaînettes de la porte cliquettent comme des fers."
(Décembre 1930, Leningrad).
"Je me lavais dehors en pleine nuit.
Le firmament brillait d'âpres étoiles.
La cuve refroidit, pleine à ras bords,
Et le rayon est comme du sel sur la hache.
À double tour on a fermé la grille.
La terre est rude en toute conscience.
On chercherait en vain plus pure trame
Que la vérité de la toile fraîche.
Dans la cuve l'étoile fond comme du sel
Et l'eau froide est de plus en plus noire,
Et plus pure la mort, plus âcre le malheur,
Et la terre plus cruelle et plus vraie."
(1921).