Berkeley trompe le lecteur de manière involontaire et en est la première victime. En effet, dans la préface de ses trois dialogues, l’évêque irlandais annonce que cet ouvrage a pour but de défendre ses Principes de la connaissance humaine mais qu'une connaissance de ce premier ouvrage en est nécessaire. Berkeley, ici, en voulant rassurer son lecteur, le trompe, en réalité.
Le but est de répondre aux critiques des adversaires de l'immatérialiste, de montrer que les extravagants sont eux et que Berkeley est dans le droit chemin. Malheureusement, la conduite est très mauvaise et l'effort, pédagogique, est raté. Plutôt que de guider l'adversaire, Berkeley se moque de lui. L'opposition Philonous/Hylas n'a rien de la beauté et de la douceur de la méthode socratique comme beaucoup de commentateurs aiment à le souligner.
Philonous est dur, sec même, avec Hylas. Il est moqueur et ne fait guère d'effort pour comprendre la thèse de son adversaire et préfère l'écraser platement. Hylas, pour sa part, est long à comprendre et ne voit pas toutes les erreurs potentielles de raisonnement.
Le style est également peu appréciable et, vraiment, la comparaison avec Platon est d'une facilité fade tant on ne retrouve nullement l'élégance ni les sous-entendus de l'athénien.
Pour la thèse même, il faut bien comprendre, et c'est malheureusement loin d'être dit de manière évidente au début des dialogues, que Philonous ne s'oppose qu'à la conception d'une substance matérielle comme support des qualités. Philonous/Berkeley n'est pas l'ennemi des choses qui existent en-dehors de nous, mais de l'existence de la matière.
Tout le premier dialogue a pour but de montrer que c'est le matéralisme qui conduit à douter de toute chose. L'immatéralisme de Berkeley lui, ramène le penseur dans la certitude.
Comme le note Hylas, finalement ce n'est pas le terme qui pose problème à Philonous, mais ce qu'il y a derrière. Ainsi, il aurait été plus simple de dire simplement que la substance matérielle n'existe pas et de continuer à parler de matière, mais avec un sens correct, c'est à dire, parler des Idées. Philonous le reconnaît à demi-mot. Ainsi, Berkeley, quelque part, reconnaît que sa thèse c'est surtout du blabla parce qu'on est pas d'accord sur les mots mais qu'en réalité elle n'est absolument pas novatrice ni révolutionnaire. Pas plus que son programme de recherche qui est d'un utilitarisme total … On peut se demander quel intérêt à la science pour un individu qui comprend si mal le plaisir de la simple recherche, coupée de toute utilité.
Plusieurs démonstrations sont très limites (notamment tout ce qui touche à Dieu) et plus d'une fois on ne peut s'empêcher de voir des moments où Hylas devrait répondre autre chose : le solipsisme à tout hasard, ou alors, la nuance noumène/phénomène. Bien sur, Berkeley ne pouvait pas la connaître mais une inspiration aurait été largement possible. De même pour les connaissances des dix catégories de l'être (la distinction qualité/relatif surtout) ainsi que toute la nuance essence/existence.
Tant de points évacués bien trop vite.
En sommes, et c'est là un véritable défaut qui dépasse la forme pour le fond, les dialogues n'en sont pas un. Ils sont une démonstration, mais n'offre nullement la joie d'un cheminement de la pensée. Pire, le lecteur se sent bloqué plusieurs fois et se demande même pourquoi tout ce travail fut fait et tant de pages tant les thèses fondamentales peuvent être expliquées plus vite.
Je doute que Berkeley soit parvenu à convaincre réellement ses opposants, étant donnée que le doigt est mis sur le quiproquo et leurs véritables erreurs de compréhensions, après les 3 quarts du dialogues. Les trois premiers cherchant à combattre le matéralisme. Nous sommes donc non dans l'explication, mais bien dans l'énonciation de thèse.
Heureusement, Berkeley a des moments de génies et des passages démonstratifs d'une rare efficacité. Mais ceux-ci sont bien trop rares et d'une puissance bien trop relative pour être relevés. Berkeley connaissait Descartes et Spinoza, il aurait dû les relire plus attentivement, il me semble.