Nicolas Fargues, 39 ans, écrivain, deux fois père. Tu verras, écrit à la première personne, raconte le deuil d'un père et, plus largement, les rapports qu'il a entretenu avec ce fils décédé, son éducation, les conflits générationnels de plus en plus fréquents. Pas un récit auto-biographique, donc, mais une mise en situation extrême, une entreprise risquée, quid de la légitimité de l'écrivain et de sa responsabilité dans cette fiction qui ose se frotter à un sujet aussi périlleux et impossible, a priori, de traiter sans pathos. Un roman que chaque lecteur appréhendera avec sa propre sensibilité et son vécu et qui, par conséquent, touchera plus ou moins. Mais s'il s'agit d'un livre sur le chagrin et la douleur d'un père, Tu verras est bien davantage que cela. Les sentiments du narrateur sont mêlés, la culpabilité y a sa place de même que l'impression lancinante d'avoir été égoïste, d'avoir réagi en "vieux con", incapable de comprendre la psychologie d'un pré-adolescent d'aujourd'hui. Ce père-là ne se fait pas de cadeau, fonctionnaire sans ambition, à la vie amoureuse sans éclat, vaguement raciste, vaguement réactionnaire, dans le vague pour à peu près tout et imperméable au monde qui l'entoure. En ce sens, le roman de Fargues est assez violent, sans tabous ni souci de politiquement correct. Il fait aussi le portrait d'une époque (Facebook, les familles recomposées,...) avec une acuité et une lucidité rares, qualités qu'on avait déjà décelées dans les précédents livres de l'auteur, mais davantage sur le mode de la légèreté ironique. La dernière partie de Tu verras surprend, un voyage en Afrique comme une renaissance, peut-être, ou en tous cas une façon d'assumer qui on est vraiment, ce que l'on a perdu et ce qu'il reste pour continuer à vivre. Il n'y a pas de dénouement véritable au livre, juste une vie en suspens, entre ciel et terre. Ce qui est clair, en revanche, c'est qu'il s'agit, et de loin, du meilleur roman de Nicolas Fargues à ce jour.