« Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un joueur. »
Amélie Nothomb et son éditeur sont passés maîtres en matière d'uppercuts de quatrième de couverture. Ceux-là ne nous aident jamais à comprendre de quoi il s'agit mais ils nous donnent toujours envie de le découvrir. Il faut dire qu'Albin Michel est le roi des techniques commerciales. Chaque année, elles sont testées et approuvées : de mai à octobre, on sort l'artillerie lourde pour permettre à la maison de mitrailler les meilleures ventes (Pancol, Higgins Clarck et Cornwell avant l'été, Nothomb et Abécassis à la rentrée, Schmitt, Werber et Chattam dans la foulée).
Alors, certes, Schmitt se disperse, écrit (du moins, publie) de plus en plus et trop souvent de la bombe anti-littéraire (comme en témoigne le médiocre et dégoulinant de bons sentiments Concerto à la mémoire d'un ange) ; Nothomb lasse (ses ventes baissent d'année en année, voir l'article sur le blog d'Audrey Chèvrefeuille) et Pancol ne publie pas tous les ans (heureusement !). Mais l'affaire n'en est pas moins hautement lucrative.
De la même façon qu'Albin Michel ne change pas une équipe qui gagne, je continue de lire et de chroniquer le nouveau Nothomb chaque année. Chez la romancière belge, il y a des hauts (tous ses romans d'Hygiène de l'assassin en 1992 à Cosmétique de l'ennemi en 2001, puis Acide Sulfurique en 2005, Ni d'Ève, ni d'Adam en 2007 et Une forme de vie en 2010), des bas (Antéchrista, Journal d'Hirondelle) et depuis peu, beaucoup de romans assez moyens, qui ne convainquent pas, déçoivent par leur histoire ou leur fin ou bien se font vite oublier. C'est le cas (pour moi) de Robert des noms propres (pourtant lu deux fois, je ne parviens pas à me souvenir de l'histoire), Biographie de la faim, Le fait du prince et Le Voyage d'Hiver.
Tuer le père fait partie de cette dernière catégorie. Il a des défauts mais n'est pas foncièrement mauvais. Son plus gros problème, c'est qu'il s'oublie aussi vite qu'il se lit ! Et pourtant, le maquettiste maison a rendu copie parfaite : le corps 14 cerné de marge de plusieurs centimètres dans un format minuscule allonge la nouvelle nouvelle d'Amélie Nothomb à cent-cinquante pages ! Le tout pour la modique somme de seize euros. C'est de la critique facile ? Oui, mais on critique d'autant plus facilement quelqu'un qu'on apprécie beaucoup. Et dont on attend beaucoup par la même occasion.
Mais que je vous parle un peu de l'histoire de ce qu'elle appelle son « western moderne ». Nevada, Joe Whip a quatorze ans. Il n'a jamais connu son père et sa mère est plus intéressée par son nouvel ami que par son adolescent de fils. Sa seule passion c'est la magie. Alors lorsqu'il se donne en public dans un bar de Reno pour avoir de l'argent de poche et qu'un inconnu lui parle du plus grand magicien, Joe n'hésite pas ; il se rend chez lui pour s'en faire un professeur et se fera en même temps adopté par l'homme, Norman Terence, et sa femme, fire dancer reconnue. Norman lui apprendra tout ce qu'il ne sait pas encore, c'est-à-dire pas grand chose puisque le gamin s'entraine depuis son plus jeune âge avec des vidéos. Mais Joe en veux toujours plus, il veut apprendre à tricher. Il veut aussi Christina, la femme de Norman. Mais ça, il ne le dit pas. Il attend le moment opportun et décide de rester vierge pour elle, pour que ce soit plus beau.
Si Joe est heureux de pouvoir apprendre la magie de fond en comble, il l'est également de s'être trouvé un père et une mère dignes de ce nom. Ainsi, il n'épargne pas à Norman les affres des relations père-fils houleuses, le complexe d'œdipe ou encore l'insolence perpétuelle d'un garçon de quinze ans. Et c'est au festival mondial de Black Rock City, Burning Man (sorte de village utopique, créé de toute pièce chaque dernière semaine d'août, où chacun est libre de vivre son art et sa différence), que tout va se jouer. Plus de vingt-mille personne s'y donnent rendez-vous une semaine de septembre pour vivre, dans la joie, la bonne humeur et les bédos, une aventure hors du commun. Hors du temps, de la vie courante et de ses codes, à Black Rock City, « pas l'ombre d'une vie ni d'une construction en dehors de l'immense campement : on eut cherché en vain un cactus, un serpent, un vautour ou une mouche, ni route ni piste, que du sable. » Jongleurs (torches, pistolets à propane, bâtons enflammés, bolas) et danseurs de feu sont là pour en mettre plein la vue à leurs spectateurs sous psychédéliques.
Le cadre, l'ambiance du roman, les couleurs qu'il dégage font de Tuer le père un roman différent. Le traitement psychologique des personnages semble plus poussé. Le flash-back est utilisé plusieurs fois pour en apprendre plus sur ce trio amoureux de haute voltige. Sous ses apparences nouvelles, ce roman traite cependant des thèmes de prédilection de la romancière, sans quoi le nouveau Nothomb ne serait pas un nouveau Nothomb. La beauté, l'amour, la personnalité, les liens qui unissent deux personnes : le mystère de la personne humaine, en somme, comme elle se plait à le dire.
Les mauvaises langues diront qu'elle déguise chaque année son précédent roman, que l'emballage nouveau cache un plus vieux produit. Que les moyens sont toujours les mêmes aussi, l'écriture toujours aussi mauvaise, le personnage plus horripilant encore, etc. Les mauvaises langues trouveront toujours à redire.
Alors il est vrai que l'écriture automatique qui rend un Nothomb reconnaissable entre mille peut agacer (on a parfois l'impression de lire un documentaire sur le jonglage, la magie ou l'amour), mais c'est son style, celui qui l'a fait accéder au rang d' « auteure la plus douée de sa génération » (le nom de l'auteure de cette citation m'échappe), celui qui rend certaines de ses phrases cyniques et remarquables. Et on ne change pas de style pour faire plaisir à d'autres.
Moi je dis que ce roman ne ressemble pas aux autres, que sa couverture sombre et mystérieuse dissimule son univers magique et coloré à un grand public qui se délecterait pourtant de cette petite friandise qui se laisse dévorer tendrement, le sourire aux lèvres, des étoiles dans les yeux.
Et attention aux fausses impressions, car Amélie Nothomb a de l'imagination à revendre !
« Le but de la magie, c'est d'amener l'autre à douter du réel. »
« La magie déforme la réalité dans l'intérêt de l'autre, afin de provoquer un doute libérateur ; la triche déforme la réalité au détriment de l'autre, dans le but de lui voler son argent. (...) Le magicien aime et estime son public ; le tricheur méprise celui qu'il plume. »
Norman Terence