Avec cette nouvelle lecture de Crichton je me suis prise pour une ingénieure en aéronautique.
Un incident au cours du vol 545 ayant entraîné quatre morts et cinquante-six blessés va devenir le prétexte à une enquête sur les causes des perturbations rencontrées ; une plongée dans le milieu de l'aéronautique au sein de l'entreprise du constructeur de l'avion N-22 incriminé ; un décryptage des rapports de force entre les grands marchés (américain, européen et asiatique) ; une critique de l'évolution des médias et son rapport à l'information.
C'est stimulant, enrichissant et plaisant. Le principal défaut est simplement le fait que le bouquin remonte à 1996 et qu'on aimerait savoir la vision/le décryptage de l'auteur sur l'évolution du milieu depuis.
En m'étalant un peu + :
- l'enquête : elle est prenante, nous tient jusqu'au bout et mélange à l'intrigue autant des problèmes techniques, qu'humains, que de stratégie industrielle, que de fonctionnements règlementaires ;
- le milieu aéronautique : si Crichton avait été un youtubeur, ç'aurait été un vulgarisateur. Le focus sur l'éventuel déploiement spontané des becs semble ultra précis et permet pourtant d'aborder au détour la question des senseurs, la question de la contrefaçon de certaines pièces, la responsabilité qu'ont certains transporteurs sur les moteurs qu'ILS choisissent d'installer dans l'avion qu'ils achètent, les tractations lors de marchés de ventes d'avions sur la part des éléments qui seront fabriqués dans le pays acheteurs et l'équilibre compliqué qu'il y a entre les gains financiers et la fuite des connaissances de fabricants qui sont monnayées. L'intérêt des organismes qui certifient les avions. L'intérêt du pilotage automatique et la tension que ça peut créer avec les pilotes. Le processus lorsqu'un incident a lieu, comment il est corrigé, à qui s'appliquent les consignes données, la liberté ou non des acheteurs à en tenir compte, les conséquences et la vision extérieure que peut en avoir le public.
- les rapports entre les marchés dans le milieu : "je t'achète 2 000 avions mais [tel élément] sera fabriqué dans mon pays", les réticences à sous-traiter la construction de l'aile qui serait le point le plus stratégique de l'avion et serait trop crucial et reviendrait à mettre la clé sous la porte à long-terme car tout le reste est plus facilement reproductible. J'étais limite chauvine et fière de voir le poids que pouvait avoir Airbus (ça se sait mais moi je connais rien). Le rôle qui peut être joué par les régulateurs américains (FAA) et européens (JAA) et peut tendre parfois vers un rôle politique pour favoriser les constructeurs de leurs zones géographiques alors que qu'ils devraient théoriquement être hors de ces considérations. Comment leur approbation ou non peut mettre en péril des ventes alors que la raison derrière pourrait ne pas être sécuritaire mais commerciale (de manière non assumée bien évidemment).
- les logiques de l'entreprise : sont entrevus la visions des pilotes, des ingénieurs, des ouvriers dans les ateliers, des grosses têtes de la boite. Ça prend pleinement part à l'avancement de l'enquête de l’Équipe d'Analyse des Incidents.
- l'éthique des médias : lorsque le personnage principal est confronté à l'intérêt des médias c'est déprimant de voir à quel point sa description est tellement toujours exacte de nos jours. La façon dont un sujet est traité, la façon dont il SOUHAITE être traité, la liberté de la presse sans commune mesure aux États-Unis grâce au premier amendement. Tout ça est bien dépeint grâce : à l'interaction avec le service juridique décrivant combien la télévision pouvait ouvertement dire n'importe quoi et quand bien même il serait prouvé qu'ils ont dit n'importe quoi ils n'auraient jamais aucune obligation de communiquer là-dessus le jour où ce serait prouvé s'ils jugent que ce n'est pas une information digne d'intérêt pour le grand public ET l'interaction avec la conseillère de communication qui va briefer l'héroïne sur son intervieweur qui viendra débiter son texte et cherchera à la provoquer pour avoir une sortie percutante + qu'une information réelle et intéressante sur les faits. Encore une fois j'aurais aimé un bouquin de nos jours de Crichton avec en aparté sa vision sur l'information à l'ère d'internet.
C'est dense mais reste ultra digeste à mes yeux. Les chapitres sont courts ce qui facilite l'avancée. Le rythme de découpage plus global pour chaque jour de la semaine du lundi au vendredi me faisait craindre quelque chose de poussif pour que chaque jour ait son lot d'informations à apporter. Force est de constater que tout était équilibré et que je n'ai pas détecté de temps mort sans me sentir bombardée.
À la fin ça m'a donné envie de poser dix mille questions sur l'avion dans lequel je serais amenée à monter tellement il y a plein de choses à en savoir (qu'on se rassure, je resterai une brêle qui se contente de partir en voyage).
I'm lovin' it. Je voulais noter avec un 7 parce que j'ai tendance naturelle à la tiédeur mais je pousse jusqu'au 8 car en ressortant j'ai une sensation que seule la bouffe m'apporte habituellement : je suis RASSASIÉE.