Étrange roman que cet Ultramarins, où une baignade imprévue vient perturber le cours d’un cargo et la vie de son équipage.
Les histoires fantastiques en mer ont souvent fasciné : du mystérieux triangle des Bermudes aux vaisseaux fantômes, les étendues d’eaux à perte de vue recèlent un mystère. Comme si l’absence de terres à l’horizon rendait fou ou, du moins, permettait de s’affranchir de toute logique et de toute rationalité. Le cargo dont il est question dans Ultramarins ne déroge pas à la règle : sur la route entre l’Europe et les Antilles, la machine se dérègle.
La capitaine est pourtant reconnue pour son sérieux. Elle n’est pas uniquement vue comme la fille d’un autre grand capitaine : c’est une bosseuse qui s’est fait un nom respecté. Mais elle décide d’un coup de briser la routine de la traversée, sans raison évidente. « Elle ne sait pas si c’est à l’intérieur d’elle que se logeait le désir de céder ou si quelqu’un dans l’équipage, d’un mot ou d’un regard, a pénétré sa froideur nécessaire. » Oui, les marins peuvent aller se baigner. On arrête le cargo de marchandises au milieu de l’Atlantique et les hommes descendent en mer, elle restant seule. En remontant sur le bateau, ils sont maintenant vingt-et-un, et non vingt. Sans s’inquiéter au départ, le malaise grandit tandis que le cargo adopte son propre rythme.
Cette cassure de la routine se révèle magnifiquement mise en mots par Mariette Navarro. Si l’on suit au plus près la commandante et ses questionnements, chaque coin du bateau est ausculté pour savoir ce qui ne tourne pas rond. L’irruption du mystère inquiète, on pense à un épisode de La Quatrième dimension.
« Immédiatement, elle est saisie par la moiteur de ce concentré d’orage. On dirait qu’un nuage s’est enroulé autour d’eux, qu’elle tente machinalement de retenir entre ses doigts écartés. Barbe à papa blanche, et presque sucrée aussi à force de densité : comme personne ne peut la voir, elle tire la langue pour la goûter, il faut bien revenir à quelques réflexes d’enfance quand on pressent que rien de drôle ne va surgir de sitôt. »