Un balcon en forêt par nostromo
Beau livre sur l'attente, "Un balcon en forêt" est un joyau d'écriture, comme toute oeuvre de Julien Gracq. Le lecteur qui découvrira cet auteur fera bien de se rappeler que chez Gracq le style est 80% de la chose écrite et que la lenteur de la lecture va de pair avec la qualité du texte. Et c'est avec émerveillement que l'on parcourt ces pages (que l'on coupe soi-même, éditions Jose Corti oblige) au vocabulaire ciselé comme de l'opale et poli par une réflexion intense.
Je n'ai pas pu m'empêcher de penser bien sûr à son chef d'oeuvre, "Le rivage des Syrtes" en lisant celui-ci. Le thème est similaire : un homme , soldat, attend la venue de l'ennemi, et l'ouvrage se tient tout entier dans cette attente de l'Autre, de l’Événement, du Mystère. Envoyé garder un obscur blockhaus de béton près du fleuve La Meuse durant l'automne 39, le héros attend donc cette offensive que l'on devine irréelle dans l'esprit de chacun, à l'instar de cette guerre, que personne ne comprend ni ne peut imaginer.
Le récit de l'attente avec en point d'orgue une rencontre miraculeuse avec une jeune fille de la forêt, ultime romance avant le malheur , est une longue description des états d'âme du soldat mais surtout une extraordinaire description de la vallée et de la forêt alentours. Le paysage est un personnage en soi que l'on découvre grâce à une prose magnifique . La jeune fille de ce roman apporte d'ailleurs sa chaleur organique à une nature sauvage, tellurique et parfois glaciale, comme elle apporte cette étincelle de vie et de folie dans un paysage qui s'enfonce lentement dans l'angoisse et l'immobile avant d'exploser au printemps 40.
La routine militaire, les lents convois, les chemins verglacés et les promenades cigarette au bec sont les micro-événements de ce roman presque sans histoire, dont toute l'écriture se tend vers le dénouement , vers l'irruption de cette Mort qui rôde. On se prend à accorder à chaque phrase toute l'attention que le héros attache au moindre brin d'herbe, tant le sentiment d'urgence suinte de la tranquillité de cette forêt magique.
Je ne mets pas la plus haute note personnellement car je trouve que ce roman reprend un peu trop les thème du Rivage des Syrtes et présente un peu moins de puissance ou de surprise dans ses longs paragraphes. C'est surtout la continuité de ce très beau style qu'on a ici envie de saluer, plus que l'histoire, qui heureusement trouve une très belle conclusion.
J'ai eu aussi beaucoup de plaisir à retrouver encore chez Gracq cet emploi particulier des italiques, qui soulignent soudain la singularité d'un mot ou d'une expression, vous y arrêtant presque comme devant une peinture. Etonnant. Recommandé !!
PS: Pour celui ou celle qui lira cette critique, je ne résiste pas au plaisir de recommander trois très beaux livres sur le sujet de l'Attente, et qui se complètent très bien : "Le Rivage des Syrtes" de Julien Gracq, "Le Désert des Tartares" de Dino Buzatti et "Sur les falaises de marbre" de Ernst Jünger.