Lucas est un homme, probablement le reflet de l’auteur, qui peine à trouver du sérieux à la vie. De ce fait, il ironise en toute situation et se complait dans les bons mots et une tendance gentiment provocatrice. Toute la première partie de ce livre inclassable lui est consacrée, par une série de textes (de quelques lignes à 4-5 pages maximum) le mettant en scène dans diverses situations. A mon avis, il faut une certaine connaissance préalable de l’auteur et de son esprit pour s’en délecter comme il le souhaite, car l’ensemble est plutôt décousu. Pourtant, on sent dans ces pages quelque chose qui pourrait être l’Argentine, bien que l’auteur en soit parti pour s’installer en France (édition du livre dans sa langue originale en 1979, traduction française 10 ans plus tard). Pour justifier mon titre, on pourrait dire que Lucas est incertain quant à son implication vis-à-vis de tout ce qui enthousiasme le commun des mortels. Lucas déteste faire comme tout le monde. Il préfère ironiser, éventuellement consacrer son temps à la réflexion et à la littérature. Toutes raisons qui font que, même si ses activités relèvent bien souvent de l’anecdotique, Lucas est un personnage éminemment sympathique.
Si le lecteur peut légitimement rester perplexe à la lecture des réflexions philosophico-désenchantées à propos d’un Lucas dont il est difficile de se faire une idée précise (première partie), la deuxième partie présente d’autres courts textes (qu’on pourrait imaginer de la main de Lucas), avec quelques perles dont la meilleure, à mon avis, en 4 petites pages, raconte l’épopée de la natation en piscine de farine. Nage de compétition pour un texte qui pourrait concourir pour le titre de la meilleure nouvelle jamais imaginée (et les argentins adorent ce genre, voir Borgès). Il est question des performances des nageurs, de leur ressenti dans ce matériau peu ordinaire, de la composition particulière du matériau (avec raffinements possibles pour les clubs ayant les moyens), du professeur à l’origine de la discipline (le comment et le pourquoi), des techniques de natation utilisables dans la farine (avec avantages et inconvénients), d’un champion révélé dans la farine, etc. De plus, le lecteur est roulé dans la farine parce que, bien entendu, ceci n’est qu’une énorme farce, Julio Cortazar se montrant particulièrement à son aise en imaginant une note de bas de page de longueur conséquente qui se permet le luxe d’inviter le lecteur à revenir au texte sans la moindre interruption. Un texte virtuose et bourré d’humour qui mérite à lui seul la découverte de l’ouvrage.


Dans cette seconde partie, d’autres nouvelles peuvent éventuellement retenir l’attention selon l’humeur et les goûts du lecteur. La troisième partie reprend le même schéma que la première, pour laisser le lecteur un peu dubitatif. Si ce recueil séduit par son écriture assez libre et une inspiration personnelle, il manque à mon avis d’un véritable souffle. Il donne néanmoins un aperçu surprenant (en 180 pages), d’un auteur sud-américain qui résiste à sa façon aux tentatives de classements trop schématiques. Cortazar semble considérer la littérature comme un jeu, voir Marelle qui, malgré sa longueur, m’inspirerait bien pour sa construction originale.


Critique dédiée à un certain Lucas (qui restera anonyme), ami avec qui j’ai régulièrement des échanges enrichissants à propos de littérature, musique, cinéma, BD, sans oublier le monde tel qu’il évolue.

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le 3 oct. 2015

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