Des effusions de joie, des larmes de bonheur, des embrassades puis des projets d'avenir insensés jusqu'à la description quasi romancée d'un petit bonnet fait main, voilà ce provoque à Arkadi Ivanovitch et Vassia Choumkov l'annonce du mariage de ce dernier: une euphorie exacerbée.
Alors comment un bonheur aussi puissant peut être contaminé aussi violemment par la folie et les craintes de ces deux amis inséparables? Mais par excès de bonheur évidemment! Et puis par peur d'échouer, parce que Vassia a pris énormément de retard sur son travail d'écriture et qu'il est terrorisé à l'idée de décevoir son protecteur, Julian Mastakovitch. Sans compter qu'Arkadi n'arrange pas forcément les choses en se faisant un sang d'encre pour son ami de toujours qu'il voit, impuissant, basculer doucement mais sûrement dans la démence et la paranoïa.
Cette nouvelle parlerait donc d'une angoisse irrationnelle et très humaine qui naît de la prise de conscience de l'éphémérité du bonheur, qui paraît tout à coup incontrôlable, surtout lorsqu'il est aussi soudain et écrasant.
...Même si, je pense également que Dostoïevski a voulu parler de l'autorité, du poids de la hiérarchie, de la sévérité de l'ordre militaire, qui a détruit l'esprit de bien des hommes. Car dans la nouvelle, Vassia est persuadé qu'il finira au front de guerre, le fusil à la main pour ne pas avoir su honorer la confiance de son supérieur.
Et quelle impression étrange quand l'auteur écrit ceci: "Une atmosphère trouble ; et confuse y régnait : Julian Mastakovitch paraissait extrêmement contrarié. Tous ceux qui avaient un grade élevé l’entouraient ; tous discutaient sans parvenir à prendre une décision. Vassia restait à l’écart. Le cœur d’Arkadi se serra lorsqu’il le vit dans cet état Vassia, blanc comme un linge, se tenait très droit, la tête relevée, les jambes resserrées, les mains à la couture du pantalon, comme se tiennent les recrues en présence d’un supérieur." On s'imagine bien que Dostoïevski ne pouvait donner une fin tragique par fusillade à ce personnage, l'horreur d'une telle punition pour un manquement aussi infime. Il n'aurait jamais pu se le permettre, surtout dans la Russie du XIXème siècle.
En 1849, soit un an après l'écriture de "Un cœur faible", Fiodor Dostoïevski est arrêté, condamné à mort puis gracié, puis est emprisonné en 1850 au bagne d'Omsk durant quatre années.
"– Que dis-tu, Vassia ? Une gratification ?
– Pas du tout ! C’est de sa poche. « Voilà cinq mois que tu n’as rien touché, mon cher, m’a-t-il dit ; prends ça. Je te remercie, je suis content… » "
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