C’est un roman que j’ai aimé pour la maîtrise de sa composition générale, les réflexions qui le travaillent, son écriture, et que j’ai apprécié de façon plus mitigée en ce qui concerne l’exploitation du détail significatif et la prise en charge du versant éthique.
Le secret qui se situe au cœur de la narration va comme tacher et alourdir le texte dans des motifs obsédants, qui se révèlent au lecteur prégnants comme les indices d’une scène non dite et cependant répétée tout au long du roman. Certains passages qui de prime abord commençaient à me sembler trop lâchement digressifs trouvaient finalement un sens dans l’ensemble de la composition, en tant que rappel, préfiguration, ou en tant que souvenir significatif dans la mémoire du narrateur qui lorsqu’il raconte a entendu ce qui n’avait pas été dit jusqu’alors. Il se dégage de la narration un jeu entre éloignement et rapprochement, forces centrifuge et centripète autour du mystère, avec une certaine liberté qui permet l’élargissement et l’enrichissement du tableau sans toutefois selon moi que cela ne cède jamais à la dissipation.
Le roman est hanté par les figures des époux Macbeth et par leur crime, qui vont, en plus de lui prodiguer une cohérence, l’alourdir d’une espèce de menace voilée, poids qui se met en place dès les premières pages avec le cœur blanc ensanglanté de la "tante impossible" du narrateur.
C’est un roman pesant et pensant, l’occasion d’une réflexion sur la réalité de ce qui est vécu, par soi et par les autres, sur la parole, la responsabilité. J’ai trouvé qu’il y avait une bonne retranscription du malaise qui peut s’instaurer entre nouveaux époux (que l’on peut imaginer facilement à d’autres échelles ou en d’autres circonstances), entre des êtres fallacieusement rapprochés au sein d’une maison fallacieusement habitée ensemble.
J’apprécie généralement l’utilisation de la répétition dans un texte, répétition de motifs, de phrases, de passages, ressemblances et échos entre les scènes, et les effets que cela peut produire. Ce roman en use beaucoup, et – ce que j’ai moins apprécié – de manière selon moi parfois un peu trop appuyée, lourde, didactique. C’est en partie pourquoi j’ai trouvé la fin un peu ratée, car il s’y trouve un précipité maladroit de cette pratique. J’ai moins apprécié, pour ce qui est plus précisément des commentaires autour de la parole etc, ce qui m’a semblé des moments trop bavards, plutôt qu’évocatoires ou même plus clairs par exemple.
J’ai trouvé dommage et relativement gênante la façon dont est évacuée la question éthique engagée par la révélation finale, même si je peux / pourrais considérer ça non comme une lacune mais essentiellement en tant qu'effet désagréable, tout comme aura pu l’éprouver la seconde épouse du père au moment de la confidence sur l’oreiller. Cela m'a donné l'impression d'un point faible au regard de la mise en tension qui tient tout au long du roman, auquel selon moi rien ne s'est substitué. Peut-être était-ce justement la volonté de l'auteur que de nous laisser en plan à notre tour avec cette révélation, sans apport de résolution éthique.
Le roman évite les écueils de la description de notre époque, par exemple en refusant, lorsqu’elles sont présentes, de s’appesantir sur la mention des technologies modernes.
En conclusion, une bonne expérience de lecture. L’écriture est agréable, malgré les défauts que j’ai trouvés à certaines pratiques dites plus haut, et l’auteur a du talent pour dépeindre des scènes immersives. Il y a matière à re lecture.
Mérite au moins d’être découvert, qu'il soit ou non entièrement apprécié.