Juan Pablo Meneses est journaliste cash, une discipline qui s'intéresse à la seule expérience commune du capitalisme : celle du consumérisme. C'est par ce degré zéro de l'être au monde, compris de tous, qu'il cherche à étudier son objet. L'objectif, plutôt que de créer un protagoniste, est de l'acheter. Ses deux précédents ouvrages consistaient en l'achat d'une vache pour explorer les rouages de l'industrie de la viande, et l'achat d'un enfant pépite du football, pour explorer l'exploitation qui entoure ce faux-rêve. La suite logique était donc d'acquérir un dieu, pour boucler sa trilogie.
Mais acheter un dieu, vous vous en doutez, ce n'est pas une mince affaire. Surtout qu'il ne s'agit pas d'acheter une effigie de pacotille, mais bel et bien un dieu, seul et unique, sorte de NFT avant l'heure.
Le résultat est une enquête à la fois fascinante et drôle sur la religion, qui ne se veut pas une satire, mais qui sait quand même être piquante. C'est aussi une expérimentation littéraire, qui vous emmène dans les lieux indiens les plus sacrés, millénaires ou récents, au tournage d'un film de Jodorowsky, à Las Vegas et ses curées Elvis, jusqu'à la Silicon Valley, temple de l'avenir, d'une technologie qui offrira bientôt, paraît-il, les rêves que les religions n'ont fait que promettre aux croyants depuis la nuit des temps.
Une fois le dieu acheté, il faut créer une religion : il obtiendra une bourse de Stanford, dans la Mecque de la culture technologique, de ses groupuscules mystico-hipsters, pour finir à travailler pour un département d'études religieuses de New-York. La divinité ne sera jamais décrite, jamais trop sollicitée, entreposée même dans un garde-meuble. Le livre sera émaillé de rencontres, de pensées parfois profondes sur la religion, et de son lien possible ou non avec l'hypercapitalisme, pour créer la religion qui serait le reflet des délires de Menseses et des temps contemporains.
C'est d'ailleurs cet aspect qui fait toute la saveur, mais aussi toute la fumisterie du livre : on ne saura jamais vraiment quel est le précepte de cette religion, puisqu'il s'agissait surtout de savoir si l'on pouvait se payer une divinité, et à quoi pourrait ressembler une religion moderne, itinérante comme son auteur. Meneses veut surtout créer un jeu religieux, qui se veut être un exercice de communication, un exercice de vente, sans âme, free-lance, partout où on le demande, principalement organisé autour du vide. Pour faire face à l'impossibilité de créer du miracle, il va se servir du système médiatique, qu'il cherchait pourtant à fuir, pour faire miroiter un livre à venir, au cours d'interviews au sujet d'un livre qui n'existe pas encore, et dont l'interview en cours sera l'un des contenus (permettant ainsi des interviews toujours aussi creuses, mais avec des journalistes n'ayant pas à faire semblant d'avoir lu le livre).
"Ce qui m'a surpris, après le lancement, c'est que le livre se mette à exister aussi vite sans exister matériellement. Une traditionnelle blague d'écrivains, "j'ai fini le livre, il ne me reste plus qu'à l'écrire", prenait corps. L'écrire n'était même plus nécessaire. Le livre existait. Sa matérialité résidait dans l'assurance avec laquelle on m'interrogeait à son propos et avec laquelle je répondais. Pour cette même raison, il était devenu, d'une certaine façon, le plus réel de tous les livres dont j'étais l'auteur, puisqu'il était le seul dont je n'avais pas encore commencé à écrire une seule ligne". Délicieusement borgésien !