Un enlévement !
J’aime François Bégaudeau. De roman en roman, son style, ces petites phrases, me font autant sourire qu’elles peuvent me toucher. Alors quand j’ai l’occasion de découvrir ce nouveau roman, à venir le...
le 16 août 2020
9 j'aime
Le onzième roman de François Begaudeau clôture un triptyque composé de la pièce La bonne nouvelle et de l'essai Histoire de ta bêtise consacré à la bourgeoisie cool, catégorie socio-culturelle réunissant hauts revenus, patrimoine et adhésion aux valeurs progressistes et libérales, auquel son personnage-narrateur, fournisseur de conseils en gestion destinés aux entreprises marié à une experte en communication de crise, appartient. Ce dernier nous immerge dans ses pensées alors qu'il passe quelques jours de vacance en famille à Royan (17, Charente-Maritime) "en location haut de gamme juste au-dessus de la plage" sur fond d'enlèvement du fils du "n°1 du BTP de Charente et du Mozambique" alimentant toutes sortes de rumeurs au sein de la station balnéaire et de la presse locale.
Certains diront que l'ancien prof Begaudeau donne une leçon de littérature suivant les prémisses exposées dans son essai polémique pré-cité, terme que sans doute il refuserait même si son goût pour le ludisme n'est plus à démontrer (cf. Âne à zèbre ou l'Anti-manuel de littérature) ; chez lui l'auteur est le théoricien de sa propre pratique.
Ainsi se déroule sous nos yeux le rapport au monde du narrateur, sa peur à l'idée de ne pas profiter (dans le sens de tirer profit) de tout : de la beauté du cadre aux occasions d'instruire ses deux enfants tandis que des nuages gris s'amoncellent à l'horizon. D'abord son fils Louis qui à l'orée du CE1 ne sait toujours pas lire et suit un atelier éducatif nouvelle génération. Pire encore, il semble refuser de produire le moindre effort, de déchiffrer les syllabes comme de travailler son revers au tennis.
"j'ai pensé quelle splendeur cette vue et qu'il fallait que je
m'occupe du wifi".
Page 10
Monsieur Legendre (car c'est son nom) serait plus en harmonie avec sa fille aînée toujours prompte à étaler sa science, à placer des termes en anglais si elle n'était pas agaçante comme une pré-adolescente peut l'être. C'est elle qui lui tient le plus ouvertement tête, ce que n'arrangera pas la connaissance du secret honteux de son père. Quant à sa femme, elle manage les échanges familiaux en veillant à ce que confiance, respect et transparence soient respectés.
Ainsi beaucoup de l'humour du livre repose sur la façon dont la situation professionnelles et socio-culturel des personnages infusent dans leur bouche. L'usage du discours indirect libre (fréquent chez Begaudeau pour son rendu fluide et intriqué à la narration – paroles et actions ne sont pas séparées) :
A fortiori n'avais-je pas pris ma douche.
Dirty man, a dit Justine.
Pig man, a dit son père. Ma fille voulait-elle bien me coudre une
combinaison imitation peau de cochon [...] ?
page 152
Le revers de cette suffisance réside dans un désir de distinction que des situations de comédie vont mettre à nue jusqu'à ce que le vernis progressiste (vivement la transition écologique, le refus de manger des produits contenant de l'huile de palme) craquelle pour révéler un triste mépris de classe (dans une envolée de la langue et de la logique assez jouissive). En effet enfoui en son sein persiste un mordant à l'encontre de ceux qui ont été plus brutalement brocardés dans Histoire de ta bêtise.
Enfin tous les personnages cherchent à s'évader du carcan qui les enferme. Alors une libération est-elle possible ? Une fuite ? Un sursaut de lucidité défiant toutes les logiques psychosociologiques ? Ici dans ce royaume romanesque oui, quitte au passage à briser toute suspension d'incrédulité d'une manière audacieuse qui laissera un lecteur interloqué s'interroger sur la réelle signification de son titre.
Créée
le 22 août 2020
Critique lue 341 fois
D'autres avis sur Un enlèvement
J’aime François Bégaudeau. De roman en roman, son style, ces petites phrases, me font autant sourire qu’elles peuvent me toucher. Alors quand j’ai l’occasion de découvrir ce nouveau roman, à venir le...
le 16 août 2020
9 j'aime
Premier roman que je lis de Bégaudeau, qui me laisse un sentiment mitigé. Cette histoire de couple de Bourgeois parisiens donneurs de leçons du 3ème en vacances à Royan apparait totalement...
Par
le 18 févr. 2021
3 j'aime
Ceux qui connaissent l'auteur feront tout de suite le lien avec Histoire de ta bêtise, essai dans lequel il s'attaque avec véhémence à la bourgeoisie cool, car nous avons là le portrait ultra...
le 10 mars 2021
2 j'aime
Du même critique
Dire oui à une première question augmente la probabilité de répondre par l'affirmative à la question suivante – technique bien connue des séducteurs. C'est ainsi que trois ados favorisés se...
Par
le 25 mars 2018
2 j'aime
Le livre se divise en trois parties. Dans la première, on suit un auteur/narrateur lors du parcours promotionnel de son dernier livre et des animations qu’il peut être amené à effectuer pour mettre...
Par
le 30 nov. 2017
2 j'aime
Le hasard naît de la rencontre entre deux séries causales dit-on. C'est sur ce principe que sont construites les 3 saisons de Fargo. Ici la rivalité entre deux frères se heurte à l'irruption d'un...
Par
le 29 avr. 2018
1 j'aime