Sylvain Tesson s'est exilé quelques temps dans les Cyclades, l'occasion pour lui de s'imprégner de l'âme grecque, de cette eau nacrée par le soleil brûlant de la Grèce, de se baigner de lumière, et de se bercer de la poésie la plus antique, la plus classique et la plus fabuleuse qui nous soit parvenue de ces temps immémoriaux où des poètes en toge et longues barbes se tenaient sur les rivages méditerranéen pour composer leurs chants sublimes comme celui des sirènes.
C'est en se glissant dans leur environnement, c'est en se nourrissant de leur lumière que Tesson a rouvert l'Iliade et l'Odysée, disons le d'emblée, deux oeuvres fondamentales de la culture occidentale. De là, il livre son sentiment, à l'aulne de la lumière héllénistique, sur ces livres à travers de courtes chroniques inspirées par sa lecture. Ces chroniques ont fait l'objet d'émissions sur Radio France et Un été avec Homère les rassemble.
Il en résulte une facilité de lecture déconcertante. On se plonge aisément dans le texte que l'on picore au fil du temps, pour le plaisir. On peut ainsi lire une chronique, ou deux, ou toutes en une fois ou en plusieurs, à notre guise, et s'imprégner des analyses très fines et magnifiques que nous livre Sylvain Tesson avec une plume assez brillante et une érudition impressionnante. Il semble avoir percé les secrets d'Homère en allant chez lui. C'est son odysée personnelle. Il est Ulysse perdu dans le flot des épopées grecques et il nous raconte ses aventures en compagnie du vieux poète.
Ce que dit Sylvain Tesson c'est à la fois la beauté et l'universalisme de ces textes. Un universalisme qui pourtant ne va pas de soi car les oeuvres sont finalement très grecques, intiment liées à la minéralité et à la lumière des îles des environs. Mais, Homère, a su parler aux coeurs des hommes comme l'aède seul sait décrire le monde. On est même surpris de l'actualité, de la modernité presque de ces histoires. Après tout il n'est question que de pouvoir, de convoitise et de guerres, dont l'écho furieux nous revient cinglant.
Tout évènement contemporain trouve écho dans le poème ou plus précisément, chaque soubresaut historique est le reflet de sa prémonition homérique.
Il est vrai que toute histoire est un peu une redite de l'Iliade et de l'Odyssée, qui sont un peu le tronc commun de toute notre littérature. Mais au-delà du schéma narratif, c'est aussi le fond qui trouble par sa modernité. Tout aujourd'hui est le ressac toujours plus vivace des vagues homériques primitives.
Le vacarme de l'Iliade et la guerre qui l'imprégne, par exemple, nous interpellet et résonne avec une troublante contemporanéité.
Aujourd'hui, les joutes compliquées de Zeus ont leur équivalent au Moyen-Orient où les puissances mondiales placent leurs pions sur un damier comme on planterait des torchères sur le couvercle d'un baril de poudre. Zeus veut la guerre des hommes pour avoir la paix de l'Olympe.
Plus encore, Sylvain Tesson nous livre les secrets de la pensée grecque avec laquelle nous sommes à la fois familier et en même temps éloigné par les siècles d'histoires qui nous en séparent. Il nous rappelle ainsi que les sociétés manichéennes et idéologiques comme les autres n'ont rien d'antiques.
Plus tard, les révélations monothéistes installeront une lecture binaire du monde, injectant les toxines de la morale dans le chatoiement des rapports humains et présidant au malheur de nos sociétés binoculaires où la ligne de crête déspérement étroite sépare le versant lumineux du versant obscur.
Bref, lisez Homère. Et vous lirez le monde.