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J’ai débuté ce roman sans en avoir lu la quatrième de couverture, simplement attiré par une surcouverture que je trouvais chaleureuse et chargée de promesse, et par la confiance aveugle que je place dans le talent d’écriture de Grégoire Delacourt, qui une fois de plus confirme que, quel que soit le sujet dont il s’empare, il le fait avec brio. Un roman au titre étonnant dont il faut aller chercher dans les poèmes de Louis Aragon pour en saisir la subtilité, plus précisément dans « Un jour un jour » un poème d’espoir écrit en hommage à un autre poète, le républicain Federico García Lorca assassiné en 1936 au début de la Guerre d’Espagne par des miliciens franquiste.


Et il y a des accents révolutionnaires, dans ce roman. Je dirais même que c’est un roman sur la colère, celle qui couve en nous et que nous essayons parfois d’étouffer, sur la colère qui ne sait pas s’exprimer correctement, qui n’est pas écoutée lorsqu’elle s’exprime, sur la colère qui nous consume et fracture la société, qui explose parfois, et qu’on regarde s’embraser sans trop savoir si cela nous fait du bien ou si ça nous effraie.


Les personnages de ce roman nous confrontent à cette colère, qu’ils la génèrent ou bien en soient victimes, ou même parfois un peu des deux, parce que finalement les frontières sont un peu floues, quand tout va mal. Ils nous illustrent ces promesses non tenues, ces frustrations, ces déceptions, ces inégalités, ce rejet qui sont autant de carburants qui viennent alimenter ce feu qui brûle en nous et qui parfois nous dépasse. La France, le pays dont la devise républicaine n’a jamais été vraiment tenue, celle d’une égalité comme un mythe, placée si haut dans les valeurs du pays qu’elle en est devenue inatteignable.


Alors avec Grégoire Delacourt, on écoute, on comprend, on arrête de juger, d’être dans l’émotion de la télévision en continue, on décortique les mécanismes, et on se dit que merde, c’est vrai, on fait quand même pas grand chose pour vraiment bien vivre ensemble. Autour de l’histoire de Pierre et Louise, un couple en crise dont lui se retrouve avec un gilet jaune sur le dos très tôt le matin dans les ronds-points à tenir des barrages filtrant en rêvant de faire tomber les privilèges, et où elle accompagne ceux qui vont mourir à l’hôpital, leur apporte la chaleur humaine, l’empathie, la présence dont ils ont férocement besoin avant de s’éteindre, on dresse le portrait d’un pays qui va mal. Entre eux, leur fils Geoffrey qui n’est pas câblé comme les autres gamins, une intelligence hors norme mais des interactions sociales à l’envers, qui ne fonctionnent pas. Autour de cet enfant différent se cristallise les rancœurs et les colères qui mèneront à la fracture.


Dit comme ça, on pourrait penser que c’est un roman sombre, qui constate l’échec, qui ne laisse pas de place à l’espoir. Pourtant, c’est un très beau livre, c’est plein d’optimisme et d’humanité, ça donne envie de réparer les gens pour qu’ils arrêtent de se détester, d’apprendre à vivre ensemble sans haine ni violence. Une très belle lecture qui je l’espère, vous transportera comme elle m’a transportée.


Un jour viendra couleur d’orange, de Grégoire Delacourt, a paru aux éditions Grasset le 19 août 2020.

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le 11 sept. 2020

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Brice B

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