La première chose à dire sur ce roman est peut-être une évidence, mais voilà : votre vécu influencera grandement la lecture. C'est pour cette raison que je vais préciser que je suis un homme de 20 ans. En fait, j'ai l'âge qu'a Victor, le premier petit ami d'Elsa, au début du roman.
La seconde chose à dire, c'est que j'ai à la fois des choses à en dire et peu l'envie de les dévoiler. Je vais donc écrire en zone spoiler une grande partie de cette critique. Si vous n'avez pas lu le roman, je vous encourage à vous le procurer sans lire les spoilers. Non pas qu'ils spoilent grand chose, à vrai dire. L'histoire n'est pas vraiment surprenante. C'est sa première force, d'ailleurs, elle est tristement banale.
Certains passages, au début du roman, m'ont presque donné l'impression de lire du Body Horror, notamment la description des règles de la protagoniste. Je ne pense pas une seconde que cela soit exagéré dans le but de choquer, mais je suis un homme qui ne connait pas grand chose à la détresse de se retrouver pour la première fois seule face à un tampon. C'est sûrement ce qui m'a autant marqué dans ces passages (et qui les rend important). Là encore, le vécu influence grandement la lecture.
Une séquence similaire qui m'a marqué, c'est lorsque pendant les rapports sexuels d'Elsa, des viols qui ne disent pas leur nom, elle se met à saigner. L'autrice montre ainsi tout le mal que fait Victor (qu'il n'est pas agréable d'imaginer) mais surtout ce que ressent Elsa. Plus que de la douleur, elle a honte de sa faiblesse.
Enfin, parce qu'on n'a que le point de vue d'Elsa et qu'elle-même doute beaucoup et remet sans cesse en question ces nuits qui l'obsèdent, la perspective de Victor est assez floue. Est-il un monstre ou bien un type normal, qui prend ce qu'il pense avoir le droit de prendre sans se poser de question ? Est-ce qu'il était conscient du mal qu'il faisait ? Comment ne pas l'être, quand on lit certains passages de leur relation ? Parmi ces doutes revient, lancinant, ce qui est peut-être le plus terrible de tous : Elsa est-elle une "bonne victime" ? Sa souffrance n'est-elle pas exagérée par rapport à d'autres ? Est-elle seulement certaine d'avoir dit "non" ? La question du statut de victime est très intéressante. Car c'est aussi cela, un statut, une façon d'exister aux yeux des autres ; comme l'était son couple avec Victor. Et lorsqu'elle voudrait se libérer de ce statut, ce sont les autres qui l'y enferment à nouveau à grand coup de compassion.
La fin du roman apporte à la fois la réponse à ces questions et la catharsis. Elsa a donc été martyr d'un monstre. Un monstre qui s'ignorait, sans doute, mais un monstre tout de même qui, en lisant son témoignage, a changé. Il y a une lueur d'espoir, comme si ces nuits passées à souffrir en silence face au plafond n'avaient pas été vaines.
Un monde plus sale que moi est un roman passionnant. S'il est parfois désagréable à lire, tant les scènes montrées sont atroces, cela ne le rend que plus important à mes yeux.
Je suis un homme de vingt ans ; peut-être pas le public cible de ce roman, mais sans doute celui pour qui il est le plus crucial de lire des témoignages comme celui-ci, même fictif.