Ce premier roman d'Alfredo Bryce Echenique, sans doute son chef-d'oeuvre, est certainement le plus original de toute sa production littéraire. : un narrateur, proche du lecteur et sur le ton de la conversation, évoque, en racontant la vie entre les cuisines et la maison des maîtres, les rapports de classes de la société de Lima en pleine mutation dans les années 1950.
L'enfant Julius grandit au sein de la haute bourgeoisie de Lima. Perdant successivement son père, sa gouvernante et sa soeur aînée, il est gâté à l'extrême pour compenser un manque fréquent d'amour. L'enfant qui manifeste de l'intérêt pour ceux qui l'aident à vivre au quotidien, serviteurs, ouvriers, observe les différences sociales dont il ressent l'injustice sans parvenir à en comprendre les raisons. L'apprentissage de ce monde est rude et l'issue en est la solitude parce que le monde de Julius est empli de questions sans réponse.
Comme dans son premier recueil de nouvelles Je suis le roi, l'auteur fait ici preuve d'une délicieuse ironie, parfois de désespoir face à une société qu'il juge décadente, socialement injuste et conduisant à des comportements qui marginalisent les protagonistes.
Ce roman, publié en plein gouvernement révolutionnaire du général Alvarado, se veut une sorte de chant du cygne d'une oligarchie péruvienne à l'égard de laquelle Bryce Echenique est particulièrement critique : ses instantanés de langage concentrent toute l'oisiveté et la frivolité d'une élite privilégiée sous influence nord-américaine, ignorante du monde populaire des bidonvilles de Lima, le tout raconté à travers le regard d'un enfant. C'est féroce, humoristique, tendre, poétique, mais surtout magistralement lucide. Le tout est d'une puissance inouïe.
Tandis que moi quatre nuits...