Dans l'ensemble de ses romans et nouvelles, Theodore Sturgeon écrit sa perception de l'homme dans sa difficulté d'être, l’anormalité, l’exclusion, la solitude, l'amour, la différence et la compréhension d'autrui, en utilisant la plupart du temps les codes SF. Son écriture simple, parfois poétique, mêlant les atmosphères propres à nous perdre dans les styles littéraires, nous réserve ses artifices par une narration fluide.


Recueil de deux nouvelles "Un peu de ton sang"(1961) suivie de "Je répare tout" (1955) opte pour le genre horrifique, sans pour autant être dans l'horreur propre à nous faire frissonner, plutôt psychologique - teinté de fantastique, mais le plaçant comme tous ses romans d'ailleurs dans un univers à part.


Un peu de ton sang


Des échanges écrits entre deux psychiatres de l'Armée des Etats-Unis sur le soldat George Smith, coupable d’avoir agressé un supérieur.
Après avoir intercepté une lettre écrite à sa petite amie, et qui aurait attiré l'attention, il est interné dans une unité spéciale.
L'époque est floue.
Le Dr Al Williams souhaite régler le problème au plus vite en le renvoyant à la vie civile


«agressé un supérieur n'étant pas signe de démence, loin de là !»


Alors que le Dr Philip Outerbridge se prend à étudier le cas et cherche au-delà de ce qui est visible. Se télescopent ainsi subtilement deux pensées pour deux générations, de l'homme d'expérience, blasé, au jeune sergent, investi dans sa mission. Se greffe le travail donné à Smith par Outerbridge -rédiger sa propre biographie- qu'il écrira comme on raconte une histoire, celle de quelqu'un d'autre, occultant ses actes, écrite avec les mots simples et perspicaces d'un adulte qui n'a pas grandi et marque finement le talent de Sturgeon à retranscrire les personnalités.


Entrecoupée des détails des interrogatoires et de l'étude de son profil, l'écriture penche vers la psychanalyse et nous dévoile lentement, entre échanges des docteurs, lettres de collaborateurs, tests du malade, la vérité de Smith et ses crimes et réserve un certain suspense. (d'ailleurs on retrouve une construction qui rappelle Bram Stocker et son "Dracula", par les multiples écrits des uns et des autres).


Mais Sturgeon a de l'humour et on le retrouve ici dans les échanges entre les deux médecins qui allège fortement la portée macabre de ce mythe du vampire revisité, ou encore par les dialogues décalés du médecin et de Smith.


Sturgeon rend bien souvent hommage aux "laissés-pour-compte" et l'empathie pour Smith pointe au fil des pages. Sturgeon par le biais de l'enfance de Smith, parle de la sienne comme souvent dans ses écrits. Par la petite amie et le rapport entre deux être blessés, il parle d'amour, même extrême, l'émotion est là. La sexualité et ses déviances que l'on retrouve aussi dans le second texte, font également partie des thèmes de prédilection de Sturgeon.
Cette nouvelle nous interroge sur le malheur et la fatalité.



Fermez le dossier, vous l'avez lu entièrement. Placez vos mains sur la surface lisse, fermés les yeux et réfléchissez. Vous ne serez pas dérangé par le psychiatre fictif qui existe seulement pour vous,lecteur.
Puisque cette histoire est et doit être imaginaire, quelle serait la fin qui vous plairait ?
Le docteur Outerbridge a trouvé une collaboratrice, Lucy Quigley, absolument charmante et elle est devenue Mme Outerbridge. Ils ont admirablement travaillé et ont atteint ensemble la célébrité. Cela vous satisfait-il ?
Ou alors, Georges a été transféré dans un hôpital d'anciens combattants et son développement émotionnel retardé a été traité par un médecin compréhensif qui a su utiliser la réserpine et l'électrochoc. Il est guéri. Il a épousé Anna, a hérité de la ferme de sa tante, et ils vivent paisiblement côte à côte et près des bois. Il a appris à aimer les enfants. D'accord ?
Ou bien, si le comportement de Georges vous a réellement offensé je vous propose une solution simple : la thérapie a échoué et Georges restera enfermé jusqu'à la fin de ses jours. ou bien il sera tué soit pendant une révolte de prisonniers, soit par les balles des policiers lorsqu'il tentait de s'enfuir. Voudriez vous que la balle l'atteigne dans la poitrine ou dans le ventre ?
c'est ça ? pourquoi ? qu'est-il donc pour vous ?
Mais il vaut mieux que vous rangiez le dossier et que vous vous en alliez. Si le Docteur Outerbridge revenait soudain, vous seriez obligé d'admettre qu'il existe réellement et que cette histoire est vraie. Et ça ne ferait pas votre affaire, n'est-ce pas ?



et pour saisir ce texte, il vous faudra lire la nouvelle.


Je répare tout


A la fois fantastique et horrifique, cette courte nouvelle met en scène un homme seul en difficulté de communication, un de ses ratés comme les aime tant Sturgeon, travaillant comme homme d'entretien dans une grande entreprise, capable de tout réparer et qui sauve une femme de mort certaine. Il va la "réparer" et encore "la réparer"...Ainsi cet homme prouvera lui aussi son amour de l'autre, son besoin d'être "utile", l'instant heureux de ne plus être seul... Et nous interroge aussi sur la monstruosité.
Le style est plus froid voire malsain dans cette seconde nouvelle, mais reste profondément humaniste.


Je conseillerais aussi, les nouvelles : "Les songes superbes" qui permet comme pour Jim Thompson et ses "Ecrits perdus" de suivre l'évolution de l'écriture de Sturgeon (onze nouvelles de 1941 et 1958.). Préface d'Alain Dorémieux et courts textes d'introduction avant chaque nouvelle, apportent un éclairage supplémentaire à la personnalité de T. Sturgeon.


"Un soupçon d'étrange", où Sturgeon nous offrent quelques récits genre "western", intrigues policières à chute, mais également des textes critiques de la société et de l'humanité qui à la fin des années 1940, reviendront de manière plus récurrente.


et "L'homme qui a perdu la mer": nouvelles surfant entre fantastique, SF, horreur et récit humoristique sur le thème de la civilisation et qui renferme toutes les préoccupations de Sturgeon. Oeuvres de "jeunesse" chaque nouvelle, même sombre recèle sa part d'espoir et de tolérance.


L'écriture de Sturgeon pourra semblait “passée” mais reste d'actualité par quelques mots d'humeur bien sentis.

limma
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le 13 févr. 2017

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