Après avoir suivi avec bonheur Emmanuel Carrère dans ses romans ou essais fortement "conceptuels", qui le voyaient travailler le réel au moment où celui-ci se délite sous la puissance pertubatrice de l'esprit humain (un peu comme chez P.K.Dick, sauf que chez Carrère, la souffrance est plus aiguë et l'horreur est littéralement inévitable), j'étais un peu inquiet de lire un ouvrage apparemment totalement autobiographique. Or "Un Roman Russe" est tout aussi théorique que "l'Adversaire" ou "la Moustache" (avec son double parcours narratif) et pas moins tragique, tant l'impossibilité de résoudre "la malédiction familiale" (pourtant dûment identifiée) comme de triompher de ses propres "tares", même pour enfin vivre une grande histoire d'amour, renvoie à l'atroce souffrance, à la folie proliférante des oeuvres antérieures. Pour peu que l'on s'identifie un minimum avec l'auteur et son sadomasochisme émotionnel assez manipulateur, la partie centrale de "Un Roman Russe" est même particulièrement éprouvante, et l'on ne sort pas indemne de sa lecture. Un très beau livre, très fort, mais certainement pas pour tous les goûts.
[Critique écrite en 2010]