Il me fallait un grand livre pour fêter ma 300ème critique de livre sur SC …

Comme pour le film de Douglas Sirk, je ne peux pas mettre moins de 10 à ce roman que j'ai lu et relu tant de fois. Ce sera le troisième roman de Remarque à être gratifié de la note maximale après "À l'Ouest rien de nouveau" et "les Camarades".

Je ne reviens pas sur la petite comparaison que j'avais effectué dans la critique du film sur les titres du roman en français et en allemand et les évolutions apportés par le cinéaste Sirk sur le titre.

Le roman se déroule pendant la 2ème guerre mondiale et prend place pendant la permission de quelques semaines d'un soldat allemand Ernst Gräber, engagé sur le front russe alors que l'armée recule. Il va découvrir que son pays, sa ville sont soumis à de fréquents bombardements et que la population civile vit dans l'absence d'avenir et la peur. Le temps des victoires faciles est révolu et l'armée qui recule partout n'est même pas là pour défendre la patrie normalement inviolable. Mais même en enfer, la vie ne perd pas ses droits. Durant cette parenthèse, Ernst Gräber va découvrir l'amour et donc la vie.

Comme cet arbre à demi déraciné qui fleurit, que Ernst et Elisabeth contemplent

- Il fleurit, dit-elle. Pour lui, c'est le printemps, rien de plus. Le reste ne lui importe pas.

- Oui, répondit Gräber, les arbres nous donnent une leçon. Ils poussent, bourgeonnent et fleurissent. Et lorsqu'ils sont déchiquetés par les bombes, la branche restée saine, continue obstinément à vivre.


Même si Remarque a quitté l'Allemagne dès 1933 et n'a donc pas subi le régime hitlérien, même s'il n'a pas vécu cette guerre, il me parait parfaitement légitime d'écrire cette histoire où il met en scène de jeunes allemands appartenant à la grande majorité de gens qui ont accepté le nazisme comme une réalité normale avec laquelle il convenait de s'arranger. Après quatre ans de campagne en Afrique, en France et maintenant sur le front russe, Gräber ne croit plus en rien sinon à sa survie. Il participe à cette guerre totale, cette guerre d'extermination qui est en train de se retourner contre les envahisseurs. Bon soldat, courageux et ordinaire, il occulte sa conscience et ne se sent pas spécialement coupable jusqu'à ce que cette permission lui fasse découvrir un pays meurtri dans lequel il ne retrouve plus la maison de son enfance ni ses parents évacués ou morts. Remarque se refuse le manichéisme bien pratique qui consisterait à simplifier et attribuer les exactions uniquement aux membres du parti, aux SS ou à la Gestapo, que ce soit au front ou au pays. Au pays, justement, le nazi du coin s'appelle Alfons Binding et est un ancien camarade de Ernst. Lui a su surfer sur la bonne vague pour avoir un bon poste et une vie agréable (même si elle est débauchée) et surtout s'éviter d'aller faire le con sur le front. Remarque en fait quelqu'un finalement d'assez sympathique alors que la mégère Mme Leiser qui n'est qu'une nazie passionnée, surveille les habitants de la maison d'Elisabeth et est prête à dénoncer, même pas pour de l'argent, juste par devoir civique. Pour Remarque, le régime nazi a réussi à gangréner l'ensemble de la société allemande en profondeur. Seuls et rares, certains résistent en silence comme Pohlman, ancien professeur d'Ernst, viré du lycée et vivant caché. Ce dernier, un laïc, n'est conduit que par des principes d'humanité dictés par sa propre conscience chrétienne. Il n'a plus confiance en personne, que ce soit, évidemment, ceux au pouvoir ou même ceux de l'institution religieuse encore en place. Pas étonnant que ce soit Remarque lui-même qui endosse le rôle dans le film de Sirk !

Le livre est profondément pessimiste car Remarque n'accordera rien à Ernst. Notons que le film est un poil plus optimiste car Sirk lui accorde l'espoir d'un héritier.

Il me semble me souvenir avoir lu quelque part que le roman publié en 1954 avait été assez mal reçu en Allemagne justement pour cette culpabilité que les allemands ont obstinément refoulé après-guerre.

Il ne sentit pas la balle. Il vit tout à coup de l'herbe devant ses yeux, une ombelle gracieuse, ses fins pétales, ses étamines roses et l'image grandit, grandit – comme une fois déjà, il ne savait plus quand. La fleur emplissait tout l'horizon de sa corolle inclinée, elle s'épanouissait sans bruit, elle faisait régner sur le ciel la paix intime de son minuscule univers, elle devenait elle-même tout l'univers – et ses yeux se fermèrent.


JeanG55
10
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le 18 janv. 2025

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