Emil a 17 ans quand il s’avise de regarder avec attention la seule photo de son père dont il dispose, accrochée dans un cadre à un mur de sa chambre. A vrai dire, tout ce qu’il sait de son père, c’est qu’il est mort peu de temps après sa naissance. Quelques années auparavant, de sa mère il a appris à demi-mot que son père n’est pas mort de maladie ou d’accident, mais qu’il s’est suicidé. Dans quelles circonstances et pour quelles raisons, il l’ignore.
Quand il s’avise d’étudier cette photo qui s’avère de qualité, il remarque une montre au poignet de son père. Il parvient même à identifier le modèle, ce qui lui permet d’en savoir un peu plus en interrogeant un horloger. Il faut dire qu’il habite en Suisse, dans une petite ville anonyme. En interrogeant sa mère, il obtient une information supplémentaire, la photographie a été réalisée par André qui se trouve être son parrain. André était un ami proche de son père, mais cela fait bien longtemps qu’il n’a plus donné de nouvelles. D’ailleurs, au moment du décès du père d’Emil, André s’était déjà installé à Paris. Intrigué, Emil décide de tenter sa chance. Sans rien dire à personne, il fait le déplacement vers Paris en train et il trouve André facilement, car celui-ci tient toujours l’atelier photographique dont le tampon avec adresse figure au dos de la photo qu’Emil a sortie de son cadre. André le reçoit chez lui et lui confirme qu’il a bien pris la photo en question et qu’il conserve quelque part quelques objets qui appartenaient à son père, dont la montre en question. Emil souhaitant la récupérer, André ne fait aucune difficulté et la lui remet. Bien qu’arrêtée depuis longtemps car plus jamais portée depuis le décès de son propriétaire, la montre repartira facilement après un petit nettoyage de l’horloger.
Et puisqu’il a retrouvé André, Emil considère qu’il n’a pas grand-chose à perdre à l’interroger pour en savoir plus sur son père. L’autre source d’information qu’Emil retrouve un peu plus tard, c’est le journal local présentant l’avis de décès de l’époque. Ce n’est qu’une fois rentré chez lui, qu’Emil en apprendra suffisamment pour se faire son idée, de la bouche de sa mère. Mais, celle-ci n’est pas du tout enthousiaste et elle se contente du minimum. Emil comprend que ce sera la seule occasion d’évoquer ce passé douloureux.
La particularité de ce roman signé Alain Claude Sulzer, Suisse d’expression allemande, est que certains chapitres nous présentent les faits de l’époque, ce qui nous met en position d’en savoir plus qu’Emil. De plus, le roman assume son titre en nous faisant sentir l’ambiance de ce passé pas si lointain que cela. Nous avons droit à une certaine idée de la vie à Paris au moment où Emil y séjourne un temps, ainsi qu’à une petite exploration des mentalités de l’époque de la jeunesse de son père. On enregistre l’accumulation des faits qui l’ont finalement conduit au suicide. A vrai dire, on se doutait déjà de l’essentiel. Le style est agréable et la construction du roman permet la comparaison entre deux époques distantes d’une génération. Le texte met en évidence comment un fait capital peut plus ou moins disparaître des consciences à force d’être tu. Sans la curiosité qu’il a soudain ressentie, Emil aurait très bien pu ne jamais réaliser les raisons profondes de l’absence de son père. On comprend pourquoi sa mère a préféré chercher à oublier, car tout cela reste douloureux pour elle, même après avoir refait sa vie avec un autre homme qu’Emil a évidemment longtemps considéré comme son père. Mais, la question des origines finit toujours par tarauder un esprit.