Quand on veut lire des romans/essais féministes, on a souvent deux noms qui reviennent : "King Kong Théorie" de Virginie Despentes et "Une chambre à soi" de Virginia Woolf. Ce sont je crois, les deux livres les plus cités et les plus recommandés. Il m'était donc plus qu'indispensable de lire cet ouvrage, et franchement, je m'attendais à quelque chose d'intéressant et j'ai été finalement passionné.
On le sait tous, Virginia Woolf est une des grandes pionnières dans le domaine du féminisme (Je n'oublie évidemment pas Olympe de Gouges). Elle a scandalisé, amusé, énervé, impressionné un bon nombre de personnes dans son époque. Aujourd'hui, on peut le dire elle est encore invitée de manière fantomatique dans les débats féministes.
"Une chambre" à soi est alors un pamphlet abordant deux grands thèmes principaux : Le roman et la femme. En 171 pages et 6 chapitres, Virginia Woolf explique donc un constat qui nomme l'absence de la femme dans toute la littérature du monde. Mais avec la plus grande des précisions et sans jamais donner son avis (comme elle le dit elle-même vers la fin du livre : "Aucune opinion n'a été exprimée".). C'est donc un livre court et cinglant, teinté d'ironie, d'auto-dérision mais avec surtout un agacement profond sur la vision de la femme et dans la société, et dans sa vision-même au sein même de la littérature.
Au départ nous sommes dans une sorte de longue promenade à travers les rues de Londres. Nous allons de dîners en dîners, de discussions en discussions et de jardins en jardins. Au départ elle veut nous convaincre que nous sommes dans une fiction.
> "C'était un jour d'octobre. Je ne veux pas risquer de perdre votre
> estime, ni mettre en danger ce joli mot de "fiction" en changeant de
> saison et en décrivant des lilas pendant au-dessus des murs des
> jardins, des roses, des tulipes ou d'autres fleurs printanières."
Déjà ce qui impressionne, c'est la beauté de l'écriture. Elle, l'autrice, qui n'aime pas vraiment les romans et la notion de fiction, nous donne pourtant une oeuvre d'une immense poésie. Nous avons ici un choix des plus raffiné en terme d'écriture. Il y a une grâce qui hante tout le roman.
Petit à petit, nous entrons dans une analyse des plus complètes sur plusieurs oeuvres littéraires de femmes. Nous avons alors des critiques (parfois coriaces) des plus grandes écrivaines du XVIII; XIX et du XX siècle. Y passent : Jane Austen, George Elliot, Emily Brönte, Madame de La Fayette... Et leur portrait ne sont pas toujours très flatteurs. En effet, Woolf analyse l'écriture, la poésie, le contexte et retrace de manière plutôt cocasse leur biographie.
Avec cela, elle montre du doigt les différentes choses qui expliquent pourquoi ces romans ont étés publiés. Elle compare ces femmes avec les grands auteurs et dramaturges hommes de l'époque. Et montre à quel point, la différence est évidemment inexistante en terme de qualité d'écriture des ouvrages. Elle se permet même, et ça avait fait scandale à l'époque, d'imaginer une soeur pour Shakespeare et d'imaginer sa vie, qui serait finalement obligatoirement vouée à l'échec.
Car oui, Virginia Woolf fait de nombreuses disgressions et arrive à montrer avec cela à quel point les femmes sont réduites au néant intellectuel dès leur naissance. Ce qui est très intéressant c'est que lorsque qu'elle cite des misogynes notoires, elle ne va pas les dénigrer, ni les insulter, non, encore plus brillant, elle va juste questionner les propos de ces hommes en les nommant. Et c'est en cela qu"Une chambre à soi" est un immense roman, il expose de manière objective tout ce qui ne va pas sans jamais entrer dans un jeu d'insultes faciles.
J'ai été impressionné par tous les thèmes qu'elle explore : Le rejet de la femme dans la littérature, le manque de moyen d'éducation intellectuelle pour les femmes, le fait qu'une femme doit avoir sa solitude, sa liberté et son indépendance (une chambre à soi et un peu d'argent), les mensonges donnés par des "soi disant" psychanalystes dans leurs livres qui veulent finalement garder leur supériorité, le fait que la plupart des hommes ont peur de l'égalité homme-femme, le fait que certaine femmes elles-mêmes refusent de quitter cette société patriarcale... En 171 pages, elle arrive finalement à nommer tout ce qui n'allait pas jusqu'à son époque (D'où la lecture prolongée de "King Kong Théorie" pour avoir vraiment tous les thèmes du féminisme) et elle le fait d'une manière que j'ai trouvé tout à fait brillante.
Et cette fin, que je ne vais pas déflorer, je la trouve vraiment magistrale. Nous sommes plongés dans un univers où la femme est véritablement mise de côté (encore plus qu'aujourd'hui) et où l'homme a le pouvoir sur tout. Doit-on pour autant éviter de combattre ces injustices ?
Enfin, c'est aussi une sorte de livre "hommage" à toutes ces écrivaines, pas tant connues que ça dans le monde "littéraire" et elle leur redonne vie dans "Une chambre à soi"
Un livre indispensable pour le combat féministe et humaniste, d'une puissance et d'une très grande justesse.