Un portrait jauni sous-titré « Douala, allée des Cocotiers, 1958 » et une allusion sibylline échappée il y a bien longtemps à sa grand-mère - « Parles-en donc à ta tante, de ce genre de bêtise. Elle a failli en faire une, et une grosse. Tu gardes ça pour toi, bien sûr. » - ont longtemps intrigué la narratrice sans que rien ne lui permette jamais de cerner le secret de Madeleine, cette tante toujours si discrète et élégante dont on disait qu’elle ressemblait à Michèle Morgan et que son mari en était fou, au point de mourir de chagrin lorsqu’elle s’éteignit, il y a seulement quelques années. Désormais « passée de l’autre côté du temps », Madeleine a néanmoins laissé quelques vieilles lettres et photographies. Ce sont elles qui permettent aujourd’hui à sa nièce et à sa fille de retracer son histoire oubliée, une histoire où ne serait arrivé qu’un « presque rien » qui a pourtant tout changé, une histoire qui, « d’une certaine manière » a fait d’elle « l’héroïne d’un roman que personne n’écrira. »


Madeleine a vingt-sept ans lorsqu’en 1958, elle se laisse épouser par Guy pour le suivre depuis Nantes jusqu’au Cameroun, où il est négociant en bois. Transplantée de son modeste et paisible milieu provincial dans un pays d’Afrique en pleine effervescence indépendantiste, la jeune femme bientôt maman d’une petite fille découvre le huis clos de la microsociété formée à Douala par les colons français. Alors que dans la touffeur tropicale fermentent doucement inquiétude et incertitude face à l’avenir, instaurant un climat de tension de plus en plus palpable, l’on y trompe angoisse et ennui dans l’apparente insouciance des mêmes sempiternelles soirées, où, entre danse et alcool, se nouent des liaisons faussement secrètes alimentant les conversations de cet entre-soi à qui rien n’échappe. « Avec sa beauté raide, un grand fond de timidité, et cet air provincial décourageant, à la fois sévère et désemparé, avec lequel elle cherchait à donner le change », la discrète et sage Madeleine se retrouve ouvertement courtisée par un certain Yves Prigent, un administrateur dont la réputation d’aventurier parachève la séduction. Que se passe-t-il alors exactement ? Quatre ans après l’installation du couple à Douala, on retrouve Madeleine et Guy de retour à Nantes, silencieux sur leur épisode africain.


Sur la pointe des mots, une infinie mélancolie se mêlant à l’exquise délicatesse de son écriture, Dominique Barbéris explore patiemment l’histoire de la tante Madeleine, et « peut-être, à travers elle, celle de beaucoup de femmes de sa génération, la génération de la guerre : une histoire sage, une vie retirée et discrète traversée d’un bref coup de folie, une romance secrète. Difficile de savoir ce qui arrive à une femme. » « Avec son élégance datée, discrète et raisonnable », « un peu comme si elle portait le fantôme de ce qu’elle était autrefois », Madeleine aura poursuivi en silence sa vie d’épouse irréprochable, laissant à jamais ses désirs, non pas seulement au rayon des souvenirs, mais à celui des possibles perdus. A observer ce couple âgé qu’ils ont fini par devenir, elle résignée sans le dire, lui lui pardonnant, toujours sans mot non plus, parce que l’aimant sans mesure, l’on s’émeut des non-dits et des abysses secrètes cachés par tant de ces vies apparemment sans histoires…


Après une très vraisemblable Bovary contemporaine dans Un dimanche à Ville-d’Avray, Dominique Barbéris nous propose cette fois une subtile Princesse de Clèves, en tous les cas un nouveau personnage de femme tiraillée entre réalité conjugale et désirs sacrifiés, pour un texte délicatement empreint de la nostalgie du temps passé et des possibles évanouis. Très grand coup de coeur pour cette fiction où « toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait fortuite », à ceci près que l’auteur est née au Cameroun en 1958 dans une famille d’origine nantaise.


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le 16 oct. 2023

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