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En dix pages et à peu près dans l’ordre, Une fille d’Ève propose a) la description détaillée d’un boudoir qui reflète ses occupantes, puis, émaillée de b) diverses maximes générales, c) une analepse...
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le 6 avr. 2020
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En dix pages et à peu près dans l’ordre, Une fille d’Ève propose a) la description détaillée d’un boudoir qui reflète ses occupantes, puis, émaillée de b) diverses maximes générales, c) une analepse racontant la jeunesse de deux sœurs, Marie-Angélique et Marie-Eugénie, d) jeunes femmes pures e) élevées comme des oies blanches mais criminelles par f) une mère trop dévote malgré g) l’amour d’un père bienveillant… Autrement, dit au jeu des sept familles des clichés balzaciens, on n’est pas mal.
Faut-il ajouter que dans Une fille d’Ève l’amour et l’argent se mêlent, et qu’on y retrouve des personnages récurrents de la Comédie humaine ? Il faut en tout cas préciser que Balzac n’est pas dupe de ces clichés : « une description exacte ferait ressembler ces pages à l’affiche d’une vente par autorité de justice » (p. 316), déclare-t-il pour couper court à la description d’un salon.
« L’histoire des bons ménages est comme celle des peuples heureux, elle s’écrit en deux lignes et n’a rien de littéraire » (1) ; or, l’histoire du ménage de Marie-Angélique de Vandenesse, née de Granville, occupe une quarantaine de milliers de mots : autant dire que notre récit présente bien du malheur. Elle a été « confite dans les pratiques religieuses, élevée par Vandenesse, et cuite à point par le mariage pour être dégustée par l’amour » (p. 308), dit d’elle un ami de l’amant. C’est ce malheur que retrace Une fille d’Ève.
Mais Balzac sait y faire, et ce qui, quelques décennies plus tard et sous la plume d’un de ses héritiers plus ou moins attributifs, eût donné lieu au récit d’une inéluctable et lente dégradation, garde ici des proportions mesurées. De même que, d’un point de vue narratif, il s’agit d’une longue analepse qui retombe sur ses pattes presque sans qu’on s’en aperçoive, c’est socialement et moralement une incartade, qui manque certes d’avoir de bien lourdes conséquences mais qui ne causera pas de séquelles.
La fille d’Ève du titre est curieuse de nouveautés, comme sa mère… Plus curieuse que tentatrice, d’ailleurs : elle se laisse tenter. Mais l’honneur – c’est-à-dire chez Balzac le mariage – sera sauf : « Les malheurs de la passion leur ont appris les douceurs d’un heureux ménage » (p. 261), dit Balzac dans la préface de 1839, à propos des femmes comme Marie-Angélique. Oui, c’est le mari qui ramène sa femme à la raison, en même temps qu’à la sérénité, sinon au bonheur ; et ce pourrait être la morale de ce court roman.
Mais c’est l’amant qui manque y laisser sa peau : Raoul Nathan, médiocre mais tout de même attachant, en dépit – grâce à ? – sa médiocrité, « comédien de bonne foi » qui « se permet avec les personnes qui l’aiment des barbarismes de conscience enterrés dans les mystères de la vie privée, mais dont personne ne parle ni ne se plaint » (2). Tenant d’abord Mme de Vandenesse pour une de ces filles dont on dispose à sa guise, comme Florine, il deviendra plus amoureux d’elle qu’elle de lui : « d’abord purement spéculatrice et vaniteuse, sa passion était devenue sincère » (p. 341). Surtout, croyant qu’elle lui est apparue par un de ces hasards que réserve la vie parisienne, il ignore qu’il a tourné contre lui bien des désirs de vengeance.
Tout cela, me semble-t-il, empêche de considérer Marie-Angélique comme l’héroïne d’Une fille d’Ève : l’héroïne de ce récit, peut-être plus encore que des autres récits de la Comédie humaine, c’est la société aristocratique du Paris de la Restauration. « Il n’y a rien qui soit d’un seul bloc dans ce monde, tout y est mosaïque » (p. 265, toujours dans la préface de 1839). M. de Granville le dit encore à sa manière : « – Voilà, s’écriait-il, le fruit amer d’un semblable système ! On veut faire des saintes, on obtient des…” Il n’achevait pas » (p. 283).
(1) P. 293. On peut lire cette phrase comme une variante par anticipation de l’incipit d’Anna Karénine. On peut surtout y relever que pour Balzac, le littéraire semble impliquer 1° le malheur, 2° la prolixité.
(2) P. 303-304. Le passage se poursuit ainsi : « La banalité de son cœur, l’impudeur de sa poignée de main qui serre tous les vices, tous les malheurs, toutes les trahisons, toutes les opinions, l’ont rendu inviolable comme un roi constitutionnel ». Et qu’on ne dise plus que Balzac n’a pas de style.
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le 6 avr. 2020
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