Nous sommes décidées à prendre pour mari le premier homme venu
Une fille d’Ève est un roman permettant de voir revenir un peu de généalogie des personnages de La Comédie Humaine.
On retrouve tout d'abord les deux filles du Comte de Granville, celui-là qui se justifiait fort aisément d'avoir une deuxième famille, car sa première femme préférait les croix aux jolies fleurs, se couvrir même le cou à montrer son sein à tout le monde. Les femmes sont d'une pruderie, j'vous jure. Le Comte de Granville, considérant que c'est l'homme qui fait sa famille, la femme subissant, a mendié l'éducation de ses deux fils, contre l'abandon de toute volonté sur le sort de ses deux filles. Il espère les marier tôt pour les sortir de ce mauvais pas. Du coup...
— Papa, disait Eugénie, nous sommes décidées à prendre pour mari le premier homme venu.
— Voilà, s’écriait-il, le fruit amer d’un semblable système ! on veut faire des saintes, on obtient des…
Il n’achevait pas.
Marie-Angélique, la sœur aînée, dont c'est ici une histoire, est mariée au comte Félix de Vandenesse, ancien Don Juan repenti, devenu mari idéal.
Les mères de famille devraient rechercher de pareils hommes pour leurs filles : l’Esprit est protecteur comme la Divinité, le Désenchantement est perspicace comme un chirurgien, l’Expérience est prévoyante comme une mère. Ces trois sentiments sont les vertus théologales du mariage.
Félix fait vivre le bonheur total à sa femme. Prévenant ses moindres désirs, l'éduquant avec gentillesse pour la sortir des bondieuseries de sa mère, bonheur sans nuage n'est qu'un bonheur terne. Elle se développe merveilleusement et finit par provoquer la jalousie de son entourage féminin, c'est-à-dire de tout ce que Paris fait de mieux, en particulier ses deux belles-soeurs : Emilie de Fontaine devenue de Kergarouët, devenue madame Charles de Vandenesse (femme du frère de son mari) et la marquise de Listomère (soeur de son mari).
Oui oui oui, je fais de la généalogie balzacienne, ça me prend un peu de temps, mais il faut bien faire les choses pour qu'elles ne soient ni faites ni à faire.
Dans les autres femmes qu'on revoit régulièrement, on peut noter la Comtesse de Montcornet, Lady Dudley, Madame de Manerville l'ex de Félix,
Du coup, Marie-Eugénie veut croquer la pomme en bonne fille d’Ève qu'elle est.
Et ce qui la tente n'est pas une pomme, mais bien un serpent, assez mal fagoté, mauvais écrivain mais qui passionne les ménagères, Raoul Nathan. Balzac n'a pas énormément de pitié pour son talent littéraire :
Jugé du point de vue littéraire, il manque à Nathan le style et l’instruction. Comme la plupart des jeunes ambitieux de la littérature, il dégorge aujourd’hui son instruction d’hier. Il n’a ni le temps ni la patience d’écrire ; il n’a pas observé, mais il écoute. (...) Il faisait de la passion, selon un mot de l’argot littéraire, parce qu’en fait de passion tout est vrai ; tandis que le génie a pour mission de chercher, à travers les hasards du vrai, ce qui doit sembler probable à tout le monde. (...) Il est le plus habile tireur au vol des idées qui s’abattent sur Paris, ou que Paris fait lever.
Raoul Nathan a soif de gloire et de réussite, il décide de lancer un journal politique, espérant se donner ainsi l'occasion d'en faire, de la politique. Il est aidé en cela par Florine, sa comédienne de friend with benefits (au moins de son point de vue à lui), mais également par de nobles enfoirés, en les personnes de messieurs du Tillet et de Nucingen. C'est ce moment-là qu'il choisit pour démarrer son idylle avec Marie, la jeune fille trop heureuse ci-dessus. L'idylle naissante y est si bien peinte.
Ce n’est plus ni les idées, ni le langage, mais les choses qui parlent ; elles parlent tant que souvent un homme épris laisse à d’autres le soin d’apporter [ce] que demande la femme qu’il aime, de peur de montrer son trouble à des yeux qui semblent ne rien voir et voient tout.
Et pourtant Marie a des revendications parfois. Oh, évidemment, les hommes diront que c'est futile, mais c'est pas tant ce que tu as dit que la façon dont tu l'as dit.
Elle avait à lui faire une de ces jolies querelles à propos de ces riens sur lesquels les femmes savent bâtir des montagnes.
Et tout va bien pour l'écrivain futur homme politique. Ce qui est suspect en soi, non ?
Jamais les hommes d’imagination, pour lesquels l’espérance est le fond de la vie, ne veulent se dire qu’en affaires le moment le plus périlleux est celui où tout va selon leurs souhaits.
Oui, car finalement, du Tillet a prêté beaucoup d'argent à Raoul, et finit par lui réclamer, en passant par un... mais si, un... prêteur sur gage, un truc comme ça. Raoul va-t-il aller en prison ? Non, car Marie de Vandenesse va lui faire prêter ce qu'il doit par l'intermédiaire de son vieux prof de musique allemand et de madame de Nucingen, procédé trouvé par sa soeur Eugénie du Tillet. Car oui, la sœur de l’héroïne, Marie-Eugénie, a épousé Ferdinand du Tillet, le vilain banquier.
Mais Félix de Vandenesse est un homme fin, amoureux et si bon : il découvre toute l'affaire, sauve la mise de sa femme, lui explique et la libère de l'emprise amoureuse de Raoul Nathan. Quel homme délicat.
Bon, c'est une intrigue bien plan plan. Cependant, on y retrouve encore des descriptions parmi les plus fines et actuelles sur la nature humaine. Regardez mes citations que diable !
Donc je dis Merci Honoré.