Chronique vidéo https://www.youtube.com/watch?v=uwlbkLRQmqs


Quand j’étais ado, j’avais participé, avec ma classe au goncourt des lycéens, je crois, ou un autre prix, j’étais pas la mieux renseignée, et l’une de mes amies m’avait dit en parlant d’un des livres qu’il était comme un bonbon acidulé sur la langue. J’avais trouvé cette image vraiment jolie et je me disais, ouah, un joli livre qui parle du beau, c’est quand même chouette, c’est vrai, chaque page, chaque phrase contient des délices, chaque chose est si joliment dite qu’on passe d’émerveillement en émerveillement. Et donc le Barbery me donne cette impression, celle d’un bonbon acidulé sur la langue, et c’est là que je vois que j’ai évolué en quatorze ou quinze ans. Parce que finalement, j’aime bien aussi quand y a du laid, de la puanteur, et que juste la Beauté, c’est bien pour décorer, pour faire joli, et c’est l’impression que je ressens en lisant ce livre, ça me nettoie un peu l’âme, mais moi, mon âme, je veux qu’on la secoue.


De quoi parle Une heure de ferveur ? On y suit Haru, un négociant en art, qui rencontre une femme, Maud, ils ont une histoire de quelques jours, puis elle disparait. Il apprend qu’elle attend leur enfant, mais elle lui défend de se manifester, sans quoi elle se tuerait. Le temps passe, et la rencontre tant souhaitée semble ne jamais arriver. Ou trop tard. Ou pas comme il faut.

Ce que j’en pense, c’est déjà qu’on ne fait rien de cette histoire. Quand je le résume, je me dis, oh, y en a des enjeux, j’ai envie de savoir, pourquoi elle fait ça, comment elle s’y prend, ce qui va advenir, et si c’est ce qui vous intéresse, passez votre chemin, car bien que le fantôme de Rose (c’est le nom de la petite) plane sur Haru, c’est le thème comme non-thème : ou plutôt, l’absence en tant qu’absence, et donc, pas toujours un sujet du livre, sujet assez vite évacué, qui surprend Haru que quand il a un verre de saké dans le nez. D’ailleurs, je me dis même là, que ça aussi aurait pu être intéressant, de faire de l’absence comme thème principal qu’une sorte de leitmotiv qui revient, mais qui n’est pas vraiment le sujet du livre, une sorte de tournage autour du pot, oui, de ne pas écrire ce qui est attendu. Le problème, c’est que les personnages ne sont que des esquisses, qu’on pourrait parler d’une belle estampe, il manque de la chair, de la dimension.

La plume est délicate, peut-être trop, je veux dire que j’ai l’impression qu’on est pleinement dans l’exotisme à la japonaise, une sorte de raffinement qu’on retrouve autant dans le choix des mots que dans les choses décrites, les lanternes, le saké, les bains — et ces petites locutions qui miment la simplicité d’haikus : « Tu es aveugle parce que tu regardes », ou le maniérisme de certaines comparaisons « On sert le saké, on rit avec légèreté, le temps ressemble à une palme caressée par la brise ». C’est beau, je me dis, c’est beau, mais y a quelque chose qui cloche, comme devant une carte postale ou un décor en carton-pâte.

Ce que je ne lis pas assez dans les critiques négatives, c’est l’ennui que provoque ce livre, c’est si joliment écrit et pourtant, qu’est-ce que on se fait chier. J’ai cette impression encore d’être en terre hostile, ce qui me fait me dire que si j’étais sensible à la plume de Muriel Barbery, je passerais sans doute un très bon moment. Mais il y a quand même des défauts objectifs — les paysages de carte postale, comme on a dit plus tôt, les personnages désincarnés (les européennes par exemple, sont toutes interchangeable, une sorte de porte vers un Occident mystérieux, comme un miroir inversé que doit peut-être éprouver l’autrice envers le Japon), la culture nippone aussi, que je trouve trop stéréotypée — on se trouve dans une époque hors d’âge, immémoriale, qui pourrait aussi bien être un Japon médiéval avec les contes, que du début du vingtième (et qui se situe pourtant des années 80 à notre époque). Les détails fourmillent, mais tournent en rond — saké, sources chaudes, kimono, temple, saké, sources chaudes, kimono, temple. Et je me dis quel gâchis d’avoir une écriture si délicate et d’en faire un récit exsangue, vide, une belle nature morte à mettre sur un guéridon — et encore une fois, le doute, c’est peut-être juste moi qui n’y suis pas sensible.

La structure est classique — on va suivre la vie d’un homme de la naissance de sa fille à sa vieillesse — avec des passages plus ou moins ralentis : le temps s’accélère vers la fin, et l’accumulation de décès n’est pas très compréhensible. Alors certes, elle reproduit bien le réel, à partir d’un certain âge, les rangs des amis et des connaissances se dépeuple, mais au niveau de l’émotion, on ne ressent rien — et j’ai même envie d’ajouter qu’on se souvenait même pas de quel personnage il s’agissait. C’est vraiment un récit mort, qui n’existe que par sa beauté, qu’on ne peut nier, qui a sans doute une symbolique aussi, avec ce récit enchâssé sur le renard et la dame, récit qui revient comme la seule chose immuable dans un monde en mouvement (et autre chose qu’on peut reprocher, un monde pas tant en mouvement que cela, les années 80 sont une période de grandes mutations au Japon, fait qu’on ne ressent jamais dans le bouquin). Un livre qu’on doit donc plutôt prendre pour sa portée allégorique, allégorie de la perte me semble-t-il, avec cet homme qui est de plus en plus seul. Peut-être aussi qu’il y a une symbolique avec cette enfant qui grandit loin de lui :

« Tu as toujours rêvé d’un ailleurs sans jamais y aller, tu as voulu des étrangères, tu as vu en l’art un autre lieu où tu puisses panser tes plaies secrètes. Ta solitude te pousse à fuir mais tes blessures te maintiennent au sol. Pourtant, je sens en toi un point de rédemption mais je ne sais pas voir lequel »

Et nous non plus.

Je dois préciser que c’est le seul pour l’instant que j’ai voulu abandonner en cours de lecture, d’où ma note qui peut paraitre sévère — il a des qualités littéraires, on ne peut dire le contraire, mais je trouve que Muriel Barbery se regarde un peu trop écrire, que le lecteur est laissé sur le carreau. Cela étant dit, je comprendrais qu’il vous plaise, c’est pas un mauvais livre en soi, plutôt un livre qui ne m’était pas vraiment destiné.




YasminaBehagle
4
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le 24 sept. 2022

Critique lue 163 fois

YasminaBehagle

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