Voilà ma foi bien longtemps que je n'avais pas lu le Rimbaud de la crise, celui de la Saison mais aussi celui des intéressants morceaux que sont « Les Déserts de l'amour » et la « Prose en marge de l’Évangile ».
Dans cette espèce de catabase hallucinée, Rimbaud s'inscrit dans le parrainage de Lautréamont pour proposer une prose symboliste faisant le récit, on le comprend çà et là, de la lutte spirituelle menée par une âme déchirée contre le monde et l'espoir.
La Saison est un fameux maelström bordélique qui, on le sait, perd sans doute trop à vouloir être décortiqué, et je ne m'y risquerai donc pas ici dans ce qui constitue encore moins que d'habitude une critique mais bien une note de lecture. Il faut identifier la grande intelligence des images de Rimbaud qui sait transformer son dépit amoureux et existentiel en une saisie épique d'un imaginaire viking, d'un imaginaire dantesque, d'un imaginaire barbare pré-poésie de la négritude même.
« Les Déserts de l'amour » vont représenter très efficacement deux visions de la construction érotique d'un jeune homme, biographique ou non, avec à chaque fois cet effet castrateur de l'occasion manquée qu'a très bien illustré Nabokov en ouverture de Lolita. Plutôt économique et accrocheur.
La « Prose en marge de l’Évangile » est une relation critique du miracle opéré par le Christ en Jean 5, la guérison du paralytique dans la piscine de Béthesda. J'aime beaucoup ce texte, bien qu'il soit presque toujours ramené à l'hostilité de Rimbaud pour le fait religieux pour en faire une espèce de profession sceptique un peu déplacée à mon avis. La description de la piscine est magnifique et dérangeante tout à la fois, et une aura de mystère sec – le même que l'on retrouve chez Caillois et Lagerkvist – pèse avec une présence incroyable sur ce petit morceau fascinant.
Le Rimbaud de la prose est un décorateur magique. Il dresse un écran sur lequel projeter une infinité de fétiches dansants et tordus qui grimacent au gré de nos humeurs associatives.
C'est, minimalement et absolument, le travail de la poésie.