Point de faux semblants : il est convenu de détester Christine Angot. Haïr l'écrivaine, et même la personne, est quasiment synonyme de bon goût. Pour avoir l'image d'un amateur de littérature, il faut chier sur Angot avec une délectation presque sadique. Vous voulez briller dans une soirée mondaine ? Faites une plaisanterie sarcastique sur Christine Angot et peu importe si votre connaissance en littérature se borne à la Bibliothèque Rose ou d'avoir comme 99,9% de la population lu l'Etranger d'Albert Camus, cela fera de vous une bonne personne. Alors, il est vrai que ce n'est pas la panacée, qu'elle n'a pas à proprement parler de style, que ses œuvres tournent toujours autour du même thème (comme tous les écrivains par ailleurs), mais pourquoi tant de haine ? Voilà quelque chose que je ne parviens pas à me figurer, alors même que je dois admettre ressentir moi-même, et c'est le paradoxe, une certaine répugnance pour sa littérature, ainsi même que pour ses idées. Mais c'est justement là toute la subtilité : il s'agit bien de littérature, et lui dénier ce qualificatif serait une bêtise. L'ambition littéraire est réelle : il s'agit pour elle d'épurer le plus possible son vocabulaire afin d'atteindre une forme de pureté descriptive permettant de lire comme on vivrait le moment en question. D'en faire une photographie. Vivre avec elle sa "semaine de vacances", subir les atteintes sexuelles et tout le reste, et ce sans entrer dans le piège de la subjectivité moralisante. Alors, on aime ou on n'aime pas. Il est vrai que je suis absolument insensible à cette ambition, mais c'en est une. Indéniablement. Au-delà du caractère insupportable du roman, répétitif même, cyclique, comme le sent les atteintes commises à l'égard de la narratrice que l'on sait être l'auteur, le côté subversif fatigue vite, désensibilise quasiment. Alors les quelques premières pages sont les plus terribles, puis cela continue comme des vagues régulières, comme sans doute la narratrice l'a réellement vécu. Est ce pour autant intéressant ? Est ce davantage une thérapie pour l'auteur qui essaie de nous refiler son malheur pour s'en décharger ? Belle et grande question.
Néanmoins, ce roman a quand même l'utilité de démontrer que l'inceste, ou tout du moins les atteintes sexuelles incestueuses, ce qui n'est tout de même pas tout à fait la même chose, ne connait pas de classe sociale, si tenté qu'on ne le savait pas, et qu'il s'agit de quelque chose de plus complexe que ce que le café du commerce en dit. Le plus important est sans doute d'ailleurs l'analyse du personnage "agresseur". A la fois dans la réussite de son époque, et même temps dans sa subversion (nous sommes dans les années Giscard), agit-il par amoralité ou par immoralité ? Est-il dans une forme de nihilisme moral et libertaire, l'amenant à considérer que l'inceste est un tabou à transgresser comme l'est l'hétérosexualité ? Ou est-il un être pervers qui connait le caractère mauvais de ce qu'il accomplit et se délecte de ce qu'il fait subir à sa victime ? La chose est d'autant plus énigmatique que l'acte sexuel se fait frénétique et ponctue la semaine comme quelque chose de banal, entre les restaurants, les visites, les commentaires, les racontars, voire les engueulades familiales. Il y a même paradoxalement de l'amour entre ce père et sa fille. Mais il y a également les manipulations, les mensonges, la pulsion sexuelle, la pratique et même l'abandon. Jamais dans le roman le lecteur ne comprend ce qu'est l'agresseur, mais plus le temps avance, moins il comprend la victime! Il y a une certaine absurdité dans tout ça, une incomplétude, un angle mort, et plus la photographie est clinique, réelle, objective, moins elle est compréhensible. Quelque part, et c'est sans doute le grand problème de Me Too, sa grande faiblesse et sa grande erreur, le langage embrouille plus qu'il ne libère.