J’ai profité de cet après-midi pluvieux (ne croyez jamais qu’il fasse soleil tous les jours au Brésil, ni même la plupart du temps, c’est un mensonge des mieux gardés) pour lire Une ténébreuse affaire de Balzac. Mon seul précédent avec lui c'était Le Père Goriot, que j’avais lu il y a quelques années pour faire plaisir à mon père, grand admirateur du bonhomme, et qui m’avait loué les descriptions formidables dudit bouquin.
J’avais alors buté sur les paragraphes fleuves, où l’auteur s’attachait à décrire avec un acharnement malsain jusqu’aux détails les plus infimes perdant au passage le gamin pressé et que tout effort dégoûtait particulièrement que j’étais. Et puis il y avait quelque facilité à se réfugier derrière le fait que le bonhomme, payé au nombre de pages qu’il publiait chaque semaine, constituait un cas critique de prostitution littéraire qui excusait que l’on ne puisse adhérer à ce qui visiblement n’était qu’une façon putassière de faire de la quantité.
Mais maintenant j’ai le temps. Et quand j’ai le temps, j’ai découvert que je lisais mieux. Alors je suis allé dans cette grosse libraire surclimatisée dans laquelle je me rends chaque semaine maintenant pour avoir de quoi occuper un temps libre qui ferait rougir un fonctionnaire à la retraite. L’avantage des librairies dans des pays étrangers c’est que par manque de place, elles se doivent d’aller à l’essentiel pour remplir leur petit rayon Littérature Française et que donc, si l’on excepte quelques Musso, Nothomb, ou même un improbable Ingrid Bettencourt, il n’y a que du très gros classique.
Si j’avais lu la préface, j’aurais su que selon Alain, Une ténébreuse affaire est « parmi les romans de Balzac, un des plus difficiles à lire » et l’affaire (sic !) en serait resté là. Mais heureusement, je ne lis que rarement les préfaces et j’ai donc acheté le bouquin. Et puis les quelques 300 pages ont été absorbées en en peu plus d’un après-midi comme je le disais.
L’affaire se situe dans ces temps agités que furent les premières années du XIXe siècle. Et il est sans doute préférable d’avoir quelques repères historiques sur le Consulat, le premier Empire, voire de vagues connaissances sur quelques personnages comme Fouché ou Talleyrand – choses qu’une très rapide lecture des articles Wikipédia s’y rapportant sera à même de vous apprendre, si, comme moi, de vos souvenirs de cours d’histoire de lycée, ne restent que les parties de morpions effectuées avec votre voisin de table à même la table – pour ne pas trop se perdre.
Il s’agit d’une enquête policière follement intéressante sur l’enlèvement d’un sénateur. Et il faut bien saluer ces longs paragraphes descriptifs dont je vous parlais plus haut qui sont en réalité tout à fait justifiés, tout à fait instructifs et tout à fait admirables et dans lesquels Balzac nous sert à peu près une vérité implacable à chaque phrase. Tenez, celle-ci par exemple : « Chez les sots, le vide ressemble à la profondeur » . C'est criant de vérité, et je suis sûr que, comme moi, vous en avez la démonstration dix fois par jour.
Et je ne vous parle même pas des courses poursuites à cheval, de la carte au trésor, de la cachette secrète, de l'écuyer qui a peur des gendarmes et qui ne s’arrête pas de pleurer... Ni des belles rencontres qu'on fait là, d'un empereur nain à des types en bottes et uniformes...
Ce qui frappe, surtout, c’est la précision des propos sur les rouages politiques du moment et la justesse de ceux sur la justice, d’une terrifiante actualité et qui m’amènent à penser qu’en deux cents ans, les choses n’ont pas changé d’un iota, contrairement à ce qu’on prétend dans les livres d’histoires auxquels ce livre devrait se substituer intelligemment, si les choses étaient bien faites.
Bref, ça se lit d’une traite et assez facilement malgré les quelques connaissances historiques que ça suppose… Et moi, faut que je relise le Père Goriot…