J’ai longtemps éprouvé un vif intérêt pour la personne de Michel Ciment, un homme de grande culture, correspondant privilégié de Stanley Kubrick, ayant écrit sur Angelopoulos, Boorman, Campion...Un des rares critiques dont je trouvais l’avis tout à fait juste et subtil, ayant l’intelligence de déceler la profondeur et la démarche de l’auteur qu’il traitait.
Je redécouvre sa vie cinéphilique grâce à ce livre, qui retrace son parcours via les nombreux articles et entretiens qu’il a publié au cours de sa carrière de journaliste.
Journaliste, au sens noble du terme, puisqu’il offre au lecteur tout l’éclairage dont il a besoin de par sa grande culture, et qu’il adopte une démarche constructive, hors des polémiques et de la déconstruction que constitue aujourd’hui le métier de journaliste.


Ainsi, c’est dans cet ouvrage que l’on retrouve ses entretiens avec des acteurs, comme Jean-Louis Trintignant ou Jeanne Moreau, mais aussi Francis Ford Coppola en qualité de réalisateur, ou bien des écrivains qui ne sont pas liés au milieu du cinéma ; Imre Kertész, Mario Vargas Llosa et Harold Pinter - soit trois prix Nobel de littérature - des témoignages qui mettent en relief la vision du cinéma au regard de la littérature et des grands auteurs contemporains, après une longue traversée du désert où le 7eme art a été ignoré.
On y retrouve aussi certains textes consacré à des cinéastes (Boorman, Wilder, Sautet, Rosi à l’aube de son décès, Resnais, Polanski, Schlondorff, et bien d’autres) ou des films plus ou moins connus, certains concepts auquel se confrontent tout cinéphile, comme la question de la politique des auteurs, dans toute son ambiguïté, et bien évidemment, il porte un regard critique sur la profession de critique, dont il dénonce les ravages de la pensée unique. Je dois dire que la partie “essai” et “controverses” du livre sont celles qui m’ont le plus intéressées.


L’auteur termine par ailleurs son livre par un article de 2016 dans lequel il s’interroge sur ce qu’il nomme la “révolution copernicienne” où l’on impose un nouveau canon cinématographique en défaveur de ce qui constituait jusqu’alors des modèles de référence Un canon artistique auquel même les surréalistes ont adhéré en leur temps. C’est une question importante pour l’auteur qui a une sensibilité historienne, et il est vrai que Michel Ciment a toujours eu un problème avec cette volonté de briser la hiérarchie en art, cela donne parfois des absurdités qu’il dénonce notamment pour ce qui est des sélections de films, par la Cinémathèque française comme pour les prix attribués dans des festivals, en dépit de certains films qui étaient de plus grande facture. Finalement, l’anticonformisme d’avant est devenu le nouveau conformisme aujourd’hui. C’est revenir à de vieilles formules qui vous font passer pour un vieux snob.


J’ignore s' il était judicieux de finir le livre comme ça, mais ça a le mérite de soulever un vrai sujet que tout homme de son âge, ayant traversé de nombreuses époques cinématographiques, ayant étudié autant de courants, rencontré autant de personnalités et d’artistes, est en droit de poser. Il en va de même pour les cinéphiles plus jeunes. On peut s’interroger face à l’arrivée de ces nouveaux critiques internet et de cette génération qui fétichise le cinéma de genre comme un noyau fécond de chefs-d’oeuvre au même titre que serait celui du cinéma classique issu de l’âge d’or, où l’on voue un culte aux nanars et à la nostalgie estampillée culture geek ou culture pop du cinéma d’action des années 80-90, où l’on ne prends plus le temps de lire les livres du cinéma, mais de se contenter “d’interviews”. Cela me semble, tout comme l’auteur, être un sujet important et on voit émerger cette nouvelle doxa anti-élitiste (où plutôt, l’idée que se font les incultes de l’élitisme) issue de la culture internet.


En bref, ce livre constitue un recueil d’articles d’une grande finesse qui plaira aux gens qui ont une sensibilité cinématographique très large.

verbomanie
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le 4 sept. 2021

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verbomanie

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