V.
7.7
V.

livre de Thomas Pynchon (1963)

Je viens juste de finir "V" et j'en rigole encore. :-) Quelle vie, quelle audace et quel génie dans ce foutoir très contrôlé et pas toujours très digeste! Mais surtout quel plaisir de lecture, et quelles tentations tout au long de ce gros ouvrage. Perso, j'ai la mémoire qui flanche face à ce raz-de-marée de situations parois loufoques, parfois tragiques, et j'ai vite eu recours à un petit carnet pour retenir les trucs bizarres et l'avalanche de noms et de références qui se croisent et s'entre-croisent dans les étranges chapitres de ce qui semble être un livre de détective mais dont on sent très vite qu'y affleure toute une métaphysique étonnante.

Il y a grosso modo deux histoires qui se croisent de chapitres en chapitres comme deux barres d'ADN: une qui suit un type un peu paumé de jobs en jobs, de bars en bars avec sa bande joyeux lurons, et qui nous parle beaucoup d'alcool, de filles, et de coups tordus. L'autre histoire suit une enquête menée par un type qui parle à la troisième personne et qui cherche obsessionnellement ce que "V " veut dire , personne ou chose mystérieuse, mentionnée dans un carnet de son défunt père, espion britannique. Le roman alterne ainsi des passages de beuveries entre potes assez marrants, une espèce de "on the road" assez déjanté, avec des récits "historiques" parfois glaçants (le récit du génocide en Afrique du Sud, ou celui des bombardements de Malte, sont loin d'être drôles).

La première trame narrative est simple, linéaire avec apparemment peu d'action, et qui semble mettre en contact notre héros Profane avec une certaine mécanisation du monde (chapitre hallucinant sur la chirurgie esthétique et le nez artificiel, focus aussi sur les dents artificielles,extermination de la jungle dans les égouts de l'urbain, remplacement des hommes par des mannequins de crash, job de veilleur de machines etc... ). Ce souci de la mécanisation du monde transparaît par exemple dans la remarque incroyable du héros sur sa copine, trop énamourée de sa voiture, et qu'il accuse de devenir ... un accessoire de la voiture. Le corps féminin s'estompe... D'ailleurs Profane en viendra à parler avec des mannequins, devenus des interlocuteurs Et ne me lancez pas sur les passages concernant le yoyo qui deviendra en un rien de temps un instrument de destruction massive dans l'enthousiasme d'un capitalisme débridé, etc... etc... Sous des apparences de récit de bars , il se passe en fait bien des choses à New-York ;-)

La deuxième trame vient compliquer la vie du lecteur avec une approche non chronologique de la vie d'un personnage féminin V, qui apparaît sur plusieurs noms, à différentes époques troublées sur divers continents et qui elle aussi semble se mécaniser, puisqu'elle devient peu à peu couverte d'implants jusqu'à sa mort violente. La déshumanisation du mystérieux personnage qu'est V semble aussi centrale au propos de Pynchon.
Non seulement le corps de la jeune femme devient mécanique, mais sa libido s'éloigne de l'humain en devenant fétichiste. Et Pynchon de nous rappeler que le fétiche est là quand on prend comme objet du désir quelque chose qui n'est pas la personne. V, objet de désir de tant d'hommes devient machine mais aime aussi une machine. Sa partenaire amoureuse mourra atrocement d'avoir oublié de se transformer en machine dans un macabre numéro de théâtre!). Dans une scène hallucinante et tellement lourde de sens qu'elle vous fait frissonner, la jeune femme sera démontée par des enfants comme une vulgaire marionnette... Beaucoup à creuser donc sur ce rapport néfaste avec le progrès.

Le problème est que tout ne fait pas aisément sens, loin de là, et ne voilà-t-y pas que Pynchon ajoute au milieu de l'ADN initial une intrigue double où un autre fils recherche aussi un autre père (explorateur ce coup-ci; et non espion) qui lui aussi est obsédé par un autre V ( Vheissou, cette fois -ci un lieu mythique où des singes arc-en ciel courent dans les arbres, et se retrouvent jusqu'en Antarctique). Pynchon va poussser le vice jusqu'à faire raconter le mythe de Vheissou à cette femme V. que l'on cherche partout ! Ce redoublement de l'intrigue m' a particulièrement énervé , mais que voulez-vous , c'est la prérogative de l'auteur qui nous oblige là à garder une concentration d'acier... :-) Perso, j'y verrais bien dans ce Vheissou spécial, une sorte de retournement , de nostalgie vers lieu primitif, mythique et primordial, dont les dernières traces sont un singe congelé dans les glaces, image de nos origines. L'image d'une arche de Noé perdue dans les glaces me vient aussi à l'esprit tant les bateaux sont présents dans cette oeuvre. Mais on peut gloser longtemps ... :-)

Il y a tant à dire sur ce livre (ai-je mentionné que le rock et le jazz sont au rendez-vous, que la religion sert à évangéliser des rats? et que le Bad Priest est en fait ... ah zut.... vous verrez ) que le mieux est de le lire et chercher patiemment les échos et les trames. Ce que j'en retiens, c'est ce sentiment extraordinaire de marcher sur des fils tendus qui se répondent, qui vibrent ensembles , qui tracent des trajectoires d'une immense richesse. Il va falloir approfondir tout ça... quand j'aurai le courage ...

Voilà un livre qui commence dans un bar appelé " Sailors' grave" et qui finit sur un naufrage , enfin un peu de circularité dans ce labyrinthe... Facile à parcourir dans la langue, mais difficile à cerner dans sa trame, jubilatoire certainement, et en tous cas chaudement recommandé!!!
nostromo
9
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le 31 mars 2014

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nostromo

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