C’est Boo Radley. Comme lui destiné à demeurer loin de l’œil public, enfermé depuis non pas vingt ans mais presque trois fois vingt ans, et déposant des trésors dans les troncs d’arbres. Et le trésor légué par Go Set a Watchman se nomme To Kill a Mockingbird…
Commençons donc par ce qui fâche: le battage médiatico-financier d’un éditeur qui a attendu le décès de la sœur et tutrice de Harper Lee, Alice, pour se jeter dans une publication hâtive; les très gros doutes sur l’assentiment de l’auteure, non seulement âgée mais lourdement handicapée depuis quelque temps, et qui de l’aveu même de sa sœur “aurait signé tout ce que l’on plaçait devant elle pour peu qu’elle ait confiance en la personne concernée”; le fait qu’après quelques tentatives d’écriture avortées, Harper Lee avait fermement déclaré qu’elle ne publierait jamais plus de sa vie; l’absence d’un avant-propos expliquant le pourquoi de la sortie de Go Set A Watchman, lequel arrive comme un cheveu du vingtième siècle sur la soupe du vingt et unième, et qui l’aurait surtout resitué dans un contexte remontant à plus d’un demi siècle.
Car Go Set A Watchman n’est en effet pas un roman, au sens achevé, “publiable” du terme. C’est un premier essai écrit dans les années 50, un document de travail, un carnet de route relatant une sorte de parcours initiatique express en mode Vingt Ans Après. La fille d’Atticus Finch retourne à Maycomb, Alabama pour revivre les souvenirs de Scout et les désillusions de Jean Louise. D’intrigue, point ou très peu: cela se résume à “Mon papa ce héros est en réalité un salaud”, endgame. Les personnages, eux, passent comme des ombres autour du seul point fixe d’Atticus Finch. Pas de structure mais des idées, des épisodes décousus, semés au hasard de l’écriture, entrecoupés des souvenirs de Scout qui, une fois redéployés, deviendront la trame de Mockingbird. Harper Lee se cherche, tourne en rond, hésite. Coachée par son éditeur ainsi sans doute que par son ami d’enfance, Truman Capote (le gentil Dill), elle se trouvera triomphalement dans ce qui restera son unique bestseller salué par un Pulitzer.
En conclusion, je reste persuadée que Watchman n’aurait jamais dû voir le jour au XXIème siècle, on ne peut juste plus accepter certains de ses propos ou alors comme un devoir de mémoire pour se souvenir des progrès accomplis depuis et de la longue route qui reste à parcourir.
(Je place ici la suite et la fin de cette critique car il est impossible de toucher au cœur douloureux de Watchman sans…)
Spoiler
Ah, que la chute du Père abattu de son piédestal nous étouffe, ainsi que l’héroïne, sous la poussière des désillusions. Atticus, quoi, le parangon de l’égalité parmi les hommes, celui dont nous avons gardé au fond de nous ces paroles d’espoir en un monde meilleur: “If there’s one thing in this world I believe, it is this: equal rights for all, special privileges for none”. Ici, bien sûr, se profile déjà la célèbre phrase: “Egaux, oui, mais séparés”. Lors de sa discussion/dispute avec Jean Louise, Atticus professe en effet un credo suprématiste autour duquel s’articule toute la problématique du Sud à l’époque: “Honey, you do not seem to understand that the Negroes down here are still in their childhood as a people (…) They’ve made terrific progress in adapting themselves to white ways, but they’re far from it yet…”
C’est bien ici que le lecteur du XXIe siècle bondit, comme le fait d’ailleurs Jean Louise. Malheureusement, elle ne fait que ça, contredit et insulte son père comme l’aurait fait Scout, oubliant qu’elle a 26 ans et devrait être en mesure d’argumenter point par point aussi raisonnablement qu’il le fait. C’est l’autre grande déception du livre. Jean Louise, c’est Scout en creux, qui ne dit plus “je” mais est exprimée la plupart du temps à la troisième personne et qu’une simple paire de claques de son oncle suffit à calmer.
Dernier point sur ce qui apparaît comme un paradoxe littéraire. Atticus a-t-il viré au vieux con raciste depuis son héroïque défense de Tom Robinson? La réponse serait “oui” dans la “vraie” vie. Mais voilà, Atticus est un personnage de fiction qui a évolué diachronologiquement de Watchman à Mockingbird, du vieux con raciste à l’avocat des droits de l’homme quelle que soit sa race. Et c’est pour ça qu’on peut sans doute, comme Jean Louise, continuer à l’aimer. Faut-il croire, avec elle, en ce vieux morceau de sagesse populaire: il faut de tout pour faire un monde? “I guess it’s like an airplane: they’re the drag and we’re the thrust: together we make the thing fly”.
fin spoiler
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