La sortie de Go Set A Watchman est peut-être le grand événement littéraire de l'année, une fois virés les bouquins qui ne font que se vendre parce que ça a clashé sec chez Ruquier le samedi soir. Mais là aussi, cet événement a ces ingrédients médiatiques tout bien choisis : une auteure, Harper Lee, qui a désiré se faire discrète après le succès de son seul et unique livre, classique étudié dans toutes les écoles américaines, une histoire sordide d'abus de personne âgée, des avocats et des agents littéraires pas très loin derrière... Avant même qu'on puisse lire le fameux manuscrit, les lecteurs avaient pris le parti d'attendre avec ferveur ce nouveau roman, ou de le boycotter dès le départ. En bref, la sortie de Watchman a rendu beaucoup de personnes très perplexes. Et après l'avoir lu, je le suis encore.
Parce qu'en réalité, il est presque impossible de donner un avis sur le roman en toute bonne foi. Enfin si, on le peut, mais en faisant fi de tout ce qui a un lien avec lui, soit Mockingbird ou encore les conditions de publication. A ce moment-là, on découvre un drame familial, les désillusions d'une jeune femme, Jean Louise, quant à son père qui se révèle raciste, le tout sur fond de mouvement des droits civiques ; un roman qui met le doigt sur les privilèges qu'octroie la société en fonction du genre, de la couleur de peau ou de la classe sociale. Un (gros) point est énormément regrettable, ceci dit : le racisme ambiant à Maycomb n'est qu'un prétexte pour mettre en scène des Blanc.he.s (les personnages Noir.e.s n'apparaissent que de manière anecdotique et ne font que donner à Jean Louise du grain à moudre pour sa confrontation finale avec Atticus). Dans un livre destiné à être un best-seller en 2015, au moins aux Etats-Unis, ça fait un peu mal.
Mais voilà, on se retrouve face à un problème : c'est qu'on a beau lire le texte, l'apprécier ou grincer des dents, Go Set A Watchman est un manuscrit, celui qui a donné naissance à To Kill A Mockingbird et qui n'a pas été retouché depuis les années 50. Il a certes été soumis à la publication, mais à l'époque. Depuis, il y a eu le best-seller de Harper Lee et la volonté de celle-ci de se retirer de la scène littéraire. Go Set A Watchman n'est qu'un document de travail, un champ d'expérimentation pour créer des personnages, pour tester des pistes d'intrigue ou des passages de texte. Ca n'enlève rien à l'intérêt de le lire, bien au contraire : c'est dans ces tentatives qui seront conservées ou bien avortées que se lit entre les lignes le travail d'écriture de Harper Lee. Mais il ne se vend pas comme ça : Watchman a été publié en tant que roman, voire en tant que suite de Mockingbird, sans préface ni annotations pour contextualiser le tout.
C'est pour cela que je n'oserai pas qualifier Go Set A Watchman de foutage de gueule, car au fond il en dit large sur Mockingbird et sur ses personnages, mais il est aussi ce qu'il est, à savoir un brouillon destiné, comme tous les brouillons, à rester au fond d'un tiroir. Alors à défaut de le laisser dans le coffre-fort de Harper Lee, il aurait dû être considéré comme un document complémentaire de To Kill A Mockingbird, comme les notes d'autres grands auteurs qui se retrouvent en annexes de certaines éditions ou alors à prix abordable, le mieux étant sa mise à disposition sur Internet. Mais je suis une grande idéaliste, ce qui explique pourquoi je ne suis pas éditrice.