J'avais adoré le film de John Carpenter, très fun, sa dernière bonne réalisation en fait. Je savais que c'était l'adaptation d'un roman, "Vampire$", c'était indiqué au générique de début, mais le film me suffisait. Je ne m'imaginais pas que le roman pouvait m'apporter quelque chose de plus.
Et puis, je ne sais plus pourquoi, je suis tombé par hasard sur la critique d'Engagé-Guignol ici-même, qui m'a fait envie.
J'ai acheté le bouquin dès que je l'ai trouvé en boutique d'occasion.
J'ai revu le film le même jour que j'ai commencé le roman. Le film, on me l'a fait remarqué et je dois avouer que c'est vrai, est bourré de clichés. Mais il est fun. Et pour moi il assume ces clichés, du moins ceux concernant son personnage principal ; ceux-là m'avaient sauté aux yeux dès le premier visionnage.
Le personnage principal joué au cinéma par James Woods s'appelle "Jack Crow", déjà rien que ça, et c'est L'archétype du héros badass de film d'action.
Ce qui est surprenant, c'est que même la version papier du personnage donne la même image dès les premières pages ; on le visualise facilement comme un héros à la Stallone, Willis ou Schwarzie. Il a un nom qui tue, il est un tas de "muscles et de volonté", il va à l'avant de son groupe malgré le danger. Il ne prend pas une arme : il tend le bras sans rien dire et on lui pose une arbalète dans la main. Apparemment, il est capable de soulever et jeter un homme rien qu’avec ses bras, ou de soulever une Harley.
Ca fait 3 ans qu'il chasse les vampires, et est devenu le vétéran de la profession.
Ses hommes ont des cous épais comme ceux de taureaux, on retrouve parmi eux la même exagération et démesure typique des badass : ils sortent des pieux de 3 mètres, ont des projectiles d’arbalètes gros comme des battes de baseball.
On croirait presque que Steakley écrivait tout ça à des fins comiques.
Contrairement au film, les chasseurs ne sont pas fringués comme des bikers, ils ont des cottes de maille en plastique avec une croix en néons sur leur torse. Je peux comprendre que Carpenter ait voulu changer ça… La troupe de Crow n’est pas équipée au départ d’armes à feu, seulement des arbalètes, jusqu’à ce que le chef ait l’idée de génie d’utiliser des balles en argent, ce qui fait un peu bizarre car ça nous est présenté comme si c’était tout nouveau et révolutionnaire ; même si ça l’est pour les personnages, ça ne l’est pas pour le lecteur qui a vu quelques films de vampires.
L’inspiration du cinéma se retrouve aussi dans la façon dont sont décrites les "scènes d’action", et dans la reprise d’un procédé purement cinématographique lors de l’une d’elles : la lampe qui tombe durant une lutte et qui crée un effet stroboscopique. C’est cliché, mais permet l’utilisation d’une bonne idée d’écriture : on alterne un moment d’obscurité, un moment de lumière où l’on voit une action, un noir, puis la lumière et le résultat macabre de l’action perçue précédemment.
Toujours pour comparer avec le film, Steakley va plus loin dans le délire concernant les relations entre l’équipe de Crow et l’Eglise, puisque le chasseur est carrément en relation avec le pape lui-même. Il se permet de se comporter avec lui comme un gamin mal élevé, et débarque complètement bourré. Il renverse même un verre de vin sur les habits du "Grand Homme".
Mais… ce passage-là est traité avec sérieux, de façon dramatique même.
Le livre mélange plus d’une fois les éléments farfelus à un ton sombre, comme lors du récit des aventures de Jack au Mexique.
Le film de Carpenter ne garde que le principe de base, l’action et le fun. Autrement, si l’on excepte le début des deux œuvres, et une idée lors d’une scène d’action en particulier (les vampires dans l’ascenseur), le film et le livre sont totalement différents. L’intrigue n’est même pas semblable.
Jack Crow, malgré la première impression qu’il donne, est un homme et non pas un surhomme comme on en voit dans les films d’action.
Je trouvais qu’il répétait de trop sa punchline "rock’n’roll", il la dit à chaque fois qu’il se met en action. J’ai mieux compris pourquoi lorsqu’on fait entendre qu’il répète ces mots machinalement, pour se donner du courage et se remettre en marche malgré sa trouille. Je vois ça comme une formule qu’il sort sans avoir besoin de réfléchir, pour faire que ses troupes et lui aillent de l’avant, balayant ainsi tous ces questionnements qui l’assaillent, sur son avenir, ses chances d’éradiquer les vampires un jour, etc. Jack part au combat en se disant qu’il n’arrivera jamais à éliminer les vampires, que son travail ne sert qu’à sauver des vies autant que possible, mais que, comme tous les maux, celui-ci ne connaitra pas de fin.
Mais comme il a une équipe derrière lui qui lui fait confiance, il ne peut laisser transparaître ce qu’il ressent vraiment, il doit se montrer brave et plein d’assurance ; un coup de "rock’n’roll" et ça repart.
Les hommes de Crow ne se font pas d’illusions non plus pourtant. La "citation" de Crow en introduction du livre (reprise sous forme de dialogue dans le film) est très pertinente je trouve pour montrer l’aspect désabusé de ces chasseurs de vampires : "Je sais que dieu existe. L’ennui, c’est que je suis incapable de comprendre ce qu’il veut". Les membres de l’équipe voient aussi leur travail comme étant sans fin, et envisagent le suicide quand le moment sera venu.
En attendant la mort, ils boivent. Beaucoup. Et la complicité et l’unité de l’équipe est figurée par des dialogues qui progressent au gré des vannes.
Le récit se fait en alternant, parfois plusieurs fois au sein d’un même chapitre, entre les intériorités et pensées d’un peu tous les personnages.
J’ai l’impression qu’à un moment, on est même dans le subjectif d’une femme du groupe quand elle est bourré ; j’ai pas compris grand-chose à ses interrogations en tout cas : elle se demande si les femmes se soulagent la vessie ? Non, elles ont chaud, les chevaux suent, et les hommes transpirent. (???) L’incompréhension est sûrement voulue, mais elle est troublante.
Le style d’écriture de John Steakley, malgré ses bonnes idées, est le plus gros problème que j’ai rencontré à la lecture, certaines actions par exemple étant difficiles à comprendre. Dans l’attaque du motel, Jack heurte quelqu’un, et tombe sur une flèche ; j’ai cru qu’il s’agissait de la personne heurtée qui s’était blessée, et n’ai compris que plusieurs lignes plus tard que c’était Jack.
Plus tard dans le roman, on nous parle d’un terrain à caravanes où se rejoint l’équipe… et peu après on nous évoque une pièce dans laquelle ils se trouvent. Quelle pièce ? Ils sont dans une caravane ? Ils ont bougé ailleurs ?
D’autres fois, la confusion est clairement recherchée. C’est le cas avec l’avant-dernier chapitre, où l’on comprend qu’il y a une part de mystère que l’auteur veut conserver. C’est le cas dans le premier chapitre quand les personnages dialoguent sur un sujet qui nous demeure inconnu, et là c’est gênant.
Ce qui m’a frustré aussi, ce sont ces descriptions d’action ou ces réflexions qui s’arrêtent par un "et…" ; il y en a pleins dans le bouquin !
Certains défauts sont peut-être à mettre sur le compte de la traduction française, qui laisse à désirer. "Deputy" traduit par "député" à un moment ; le personnage de Carl confondu avec celui de Cat (l’erreur se remarque d’autant plus après la mort d’un des deux…).
Je donne à Steakley le bénéfice du doute, car étonnamment, malgré toutes les maladresses que l’on peut déceler dans son écriture, celle-ci se révèle parfois très bonne.
L’auteur parvient très bien à trouver les images et les termes qu’il faut pour décrire une sensation ou un sentiment : un personnage qui est paralysée par la peur, ou qui a un faible terrible pour quelqu’un d’autre ; dans les deux cas, on se reconnaît dans la description de ce que les protagonistes vivent.
Le roman dévie, le temps du récit d’un personnage, dans le genre de la littérature érotique. Un vampire séduit de jeunes aristocrates. Steakley nous parle de l’effet de séduction irrésistible qu’a rien que la voix du vampire, l’orgasme qu’il provoque simplement par le toucher, l’amour malsain qu’il procure à sa victime, une "fille sage" qui ne peut lui résister. L’auteur arrive à rendre compréhensible et palpable la tentation de la jeune femme ; là il montrait du véritable talent d’écriture.
L’exploration des personnages, leurs contradictions, leurs hésitations, s’avèrent par moments très réfléchies et réalistes (je pense particulièrement à ce moment vers la fin où Félix, repensant à quelque chose qu’il a brièvement ressenti, revient sur une décision) ; ça donne du relief aux protagonistes.
John Steakley est un auteur resté assez anonyme : deux romans qui sont sortis du lot aux USA (Vampire$ et Armor), un seul sorti en France, et ce grâce à l’adaptation filmique. C’est assez dommage, car il fait preuve dans Vampire$ d’une écriture d’une qualité certes aléatoire mais qui a ses coups de génie, et d’une intention fort sympathique de vouloir offrir une vision un peu différente d’un mythe déjà beaucoup exploité.
J’ai de l’affection pour ce monsieur presque inconnu ; RIP.