Bel ouvrage qui se concentre sur un aspect précis de la Révolution Française, la fuite du roi Louis XVI du 21 juin 1791 et son arrestation à Varennes. L'objectif de l'historienne est de nous montrer l'influence et l'impact symbolique et psychologique qu'a pu avoir cet événement malheureux pendant la Révolution et puis, finalement, bien au-delà, dans l'imaginaire français (politique, artistique notamment).
Dans un premier temps, l'historienne spécialiste, qui n'est autre que la brillante Mona Ozouf (directrice de recherche au C.N.R.S.), amorce son essai un peu à la manière d'un roman en présentant la fuite en décrivant les préparatifs, les différentes étapes jusqu'au départ nocturne et à la dérobée du château des Tuileries. Cet essai très documenté rentre dans les détails à la fois sur le voyage en lui-même mais également sur l'arrestation du roi à Varennes, les manqués qui ont amené à cet échec et sur les hypothétiques responsables de ce fiasco. Il s'agit de la partie la plus facile d'accès.
Le monarque, par ailleurs, s'est vu à nouveau refuser le droit d'initier les lois ; il pouvait tout juste émettre le vœu qu'un objet soit pris en considération. Il n'y avait donc aucune collaboration possible entre les deux pouvoirs, comme le montrait assez la perte par l'Assemblée de tout pouvoir de délibérer au moment où le roi paraissait en son sein. En cas de conflit entre les deux pouvoirs, dont la séparation si vantée cachait en réalité une indiscutable hiérarchie au bénéfice du législatif, il ne pouvait y avoir de solution démocratique. Le roi, commente Etienne Dumont, "était un hors d'oeuvre : il était partout en apparence, mais il n'avait aucun pouvoir réel".
S'ensuit le plus gros "morceau" : le retour du roi et sa famille captif des Constituants et des parisiens et toutes les réflexions métaphysiques, les discours décisifs à l'assemblée, les décisions politiques majeures qui vont suivre cette arrestation pendant les deux prochaines années (1791-1793), jusqu'au vote de la condamnation à mort du roi. Autrement dit comment est-on passé d'un roi d'essence divine, à un roi dépossédé de tous ces pouvoirs même si considéré comme "le premier des citoyens", avec circonspection, pour être finalement exécuté comme un condamné lambda. Le processus va durer deux ans, l'évolution de l'opinion publique, des intellectuels de l'époque sur l'inviolabilité royale est passionnante à suivre même si tragique. Mona Ozouf nous emmène au cœur de cette période d'une complexité rare avec brio même si on a parfois le sentiment qu'elle s'éloigne un peu du sujet central pour nous immerger dans l'histoire de la Révolution pure et dure. Disons qu'elle raccroche les wagons de manière étrange à certains moments. Sachez également que l'ouvrage reste très technique et, en ce qui me concerne, pas toujours fulgurant... Ouais, on s'ennuie un peu. En effet, la pléthore d'intervenants politiques de l'époque sans parler de la tonne d'événements qui se déroulent en à peine deux ans noient un peu le lecteur non averti.
Et c'est elle que Varennes, en cela journée capitale, assassine. Elle présente aux yeux de tous la séparation du roi et de la nation : le premier, tel un vulgaire émigré, a couru clandestinement à la frontière ; la seconde rejette désormais comme dérisoire son identification au corps du roi, qu'aucune restauration ne parviendra plus à faire revivre ; par où, bien avant la mise à mort du roi, elle accomplit la mort de la royauté.
En plus de 500 pages, Mona Ozouf fait le tour complet de son sujet et, à la lueur de cette fuite royale, nous éclaire sur la naissance des idées républicaines, l'avancée majeure du processus démocratiques et la mort du régime monarchique dans le cœur des français.