"Mille et Une Nuits" de la misère, de la souffrance et du mal

De ce 18e siècle porteur, dès ses premières années, des germes d'un orientalisme appelé à embraser le 19e, "Vathek" de Beckford nous est resté relativement peu connu. L'odeur de soufre qu'il dégage encore nous fait sans doute préférer les plus aimables, bien que subversives, "Lettres Persanes" de Montesquieu, et la traduction édulcorée des "Mille et Une Nuits" d'Antoine Galland.

Écrit huit décades après cette publication française des "Mille et Une Nuit", Vathek pourrait en effet être vu comme le pendant maléfique de ce recueil de contes. Surtout si l'on respecte le projet complet de l'auteur, aujourd'hui publié sous le titre "Vathek et ses épisodes", dans lequel plusieurs contes s'imbriquent les uns dans les autres, comme dans le récit de Shéhérazade.
Chacune de ces quatre histoires (Vathek, Histoire des Deux Princes amis, Histoire de la Princesse Zulkaïs et du Prince Kalilah, Histoire du Prince Barkiarokh enfermé dans le palais du feu souterrain) entraîne le lecteur dans une entreprise d'autodestruction accablante. Les personnages, par toutes leurs actions, entament résolument une marche vers la damnation que nous savons irrévocable. C'est là la beauté de ces textes gothiques. Si une lutte se déroule dans la conscience des personnages, ce n'est au final que pour conforter leur choix de l'ombre.
Ceci est à rapprocher de la personnalité de l'auteur, chez qui l'on ressent une jubilation fébrile à imaginer les pires horreurs. Beckford fut en effet beaucoup critiqué pour les affres de son existence. Bien sûr, il y a une morale dans ces histoires, mais elle semble bien anecdotique au vu de la jouissance du mal ressentie au fil des pages.

Vathek se distingue des trois autres histoires par sa structure. Les autres contes paraissent avoir été longuement pensés et composés, alors que les événements de Vathek semblent couler au fil de la plume, entraînés dans les sinuosités de l'imagination de l'auteur par un flot continu. J'ai pensé au "Conte de fées à l'usage des moyennes personnes" de Boris Vian, lui aussi écrit comme d'un jet très libre.

Pour ceux qui chercheraient à se procurer ce livre, une précision est souhaitable : si Beckford a publié Vathek seul, ce n'était que pour remédier à la trahison de son traducteur qui venait de publier le conte dans sa version anglaise sans son accord, et donc avant la version originale française. Puisqu'une édition récente reprend l'ensemble de l'édifice littéraire (éd. José Corti 2003), autant la privilégier !
BenB
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le 17 mai 2011

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BenB

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