Veiller sur elle, c’est d’abord la rencontre improbable en Italie entre un homme de petite taille de treize ans ( délaissé par une mère dont la pauvreté la dépasse) et une héritière de grande famille du même âge. Ce qui les lie, dès le début, c’est le fait de ne rien représenter pour leurs proches trop occupés à paraître, défendre leurs intérêts plutôt qu’à considérer les autres et la marche du monde. Mimo est d’abord sidéré et obnubilé par Viola ( car elle l’ouvre à la connaissance et qu’elle a un parti pris incroyablement audacieux sur la vie), pour laquelle il éprouve un amour hors-sol. Jean Baptiste Andréa a ensuite ce génie de déconstruire ce postulat de départ avec des séparations et retrouvailles alternatives entre ces deux êtres qui vont finalement apprendre à s’appréhender, sans toujours se comprendre pendant trente ans d’une amitié contrariée.Quelque part, Michaelangelo, nain surdoué en sculpture, et Viola, dont la position de femme l’empêche de libérer son potentiel intellectuel, sont des marginaux de ce vingtième siècle où l’Italie rate son virage démocratique pour installer le fascisme et Mussolini. Lire Veiller sur elle, c’est donc accepter que la vie est un équilibre instable, qu’il faut apprendre malgré tout à danser sous la pluie.Mimo et Viola, éprouvent des repositionnements voulus ou subis ( quand l’un a du mal à s’imposer comme sculpteur à cause de la bêtise de son oncle ou de ses congénères, l’autre doit accepter un mariage de raison pour le rang des Orsini…). Même si cette approche est indiscutable, l’auteur choisit une mécanique très aléatoire où le lecteur s’embarque mais peut avoir la sensation de trop plein par moments. C’est dommage car les destins particuliers de Mimo et Viola les empêchent d’envoyer totalement valser des carcans où ils suffoquent, des postures qu’ils ne veulent plus tenir. C’est un souffle de saga digne de L’Amie prodigieuse mais avons nous toujours envie de nous laisser porter car l’Histoire relègue parfois l’intensité de l’amitié Vitalianni/Orsini? Par contre, le village de Pietra d’Alba, qu’on voit évoluer en bien ou en mal, est aussi cruel que les faubourgs de Florence ou les arcanes de Rome. Jean Baptiste Andrea, en décloisonnant les misères respectives de la ville et de la campagne, veut défendre l’idée que l’homme est un loup pour l’homme partout ( la rivalité Gambale/Orsini étant tout aussi terrible que les méfaits fascistes du frère de Viola). Même si cela est encore plus ou moins bien présenté, le lecteur n’a t-il pas besoin d’un épisode salutaire dans ce récit ( qui aurait pu être l’escapade vers les États-Unis en transatlantique)? Parfois, l’éclaircie plus durable manque à Veiller sur elle et c’est ce qui tempère l’appréciation globale de ce récit où Mimo et Viola sont jusqu’au bout des jouets du destin à cause de leurs caractères très forts, de leurs choix contre-nature et de cette immense attraction/ répulsion qui les définit pendant toute leur relation. Un dernier mot sur le côté mystique du livre ( aussi présente dans la façon intuitive de sculpter de Michaelangelo ,que dans ses derniers moments de mourant, ou dans la décision d’une autorité divine punitive venant à planer sur le tremblement de terre de 1946) où Jean Baptiste Andréa distille l’impalpable du « miracle », où la réalité n’a plus d’importance. C’est peut être dans ces mouvements d’inconscience où son histoire, presque libérée d’une cohérence vouée à l’efficacité romanesque, gagne d’indéniables qualités car le sublime s’y déploie sans complexes.