Je sais bien qu'il ne faut jamais regarder les bandeaux, que c'est une ruse d'éditeur. Je me sens trompé par Olivia de Lamberterie, que j'adore. Une "émotion exceptionnelle", tu parles... Au moins, le nouveau bandeau, "PRIX GONCOURT 2023", est factuellement juste. Mais nous y reviendrons.
Commençons par prévenir : 600 pages, c'est long. Il faut s'accrocher. Ce n'est pas un mauvais roman en soi, au contraire même, c'est juste d'un classicisme qui m'est insupportable. Je croyais qu'on n'écrivait plus de livres comme ça en 2023, dans la plus pure (et poussiéreuse) tradition romanesque. Veiller sur elle raconte la vie de deux personnages, de la naissance à la mort, prétexte pour raconter tout le premier XXème siècle, le fascisme et deux guerres mondiales en Italie. Mimo et Viola donc, lui, sculpteur de génie (son prénom entier est Michelangelo ; vous l'avez ?) abandonné par sa mère, nain, qui s'élevera grâce à son talent et à la famille Orsini dont il est lié d'amour-amitié ("jumeaux cosmiques") avec la benjamine, Viola, aristocrate intello hypermnésique fantasque, qui parle avec les morts et apprivoise les ours. Rien que ça.
Paradoxalement, le plus réussi est sans doute leur relation au sortir de l'enfance, alors que je me suis demandé pendant les 250 premières pages pourquoi je lisais ce livre. C'est d'un classicisme comme on n'en fait plus, les phrases sont plates, elles délivrent des informations comme un scénario. Même le procédé romanesque est suranné : Mimo, sur son lit de mort dans un monastère entouré d'un vague mystère autour d'une de ses oeuvres, une Pietà mystique, raconte sa vie aux moines qui l'entourent. On ne nous épargne aucun cliché à la Dickens : abandonné par sa mère, pris sous l'aile d'un oncle alcoolique et jaloux, vendu à un autre maître, échoué dans un cirque... Viola est une jeune femme écrasée par sa classe et son genre, perpétuellement rappelée à l'ordre genré. C'est toujours utile de montrer cette réalité pas si historique que cela, mais on l'aurait préférée moins didactique. Sur la sculpture, on n'apprend rien - et c'est dommage car j'adore les romans sur l'art -, sur l'Italie, le fascisme, l'Église, à peine. Les Italiens sont fantasques, fiers et tempétueux : on croirait du Laurent Gaudé d'Italie du Nord.
Lui donner le Goncourt interroge du strict point de vue littéraire : après La plus secrète mémoire des hommes, qui ne sacrifiait aucunement l'ambition littéraire au souffle romanesque, on aurait aimé que le prix aille à Triste Tigre, coup d'éclat littéraire de cette saison (heureusement que les dames du Femina veillent). Mais le jury a ses propres raisons : il a préféré sacrer une petite maison d'édition comme il le fait de plus en plus, saluer feue son éditrice et fondatrice Sophie de Sivry, et se réconcilier autour d'un bon vieux roman qui rassure tout le monde après les déboires de l'année dernière autour de l'autofiction. Cela s'entend. C'est un peu dommage pour la littérature.