Ce sont de longues phrases à réciter comme une litanie, à psalmodier comme une invocation mystique ou à annoner comme un chant chamanique. Et il ne serait pas étonnant qu'elles aient un effet prophylactique réel.
Donc, ces longues phrases qui galopent, palpitent, s'étirent, se déroulent et enflent comme de la pâte. Saint-John Perse souffleur de vers. Du Mallarmé avec plus d'ampleur, qui s'épand sur la Terre entière dans une poésie toujours en mouvement, en direction de l'Ouest, vers cet horizon où réside le regain et le renouveau, contant le "grand âge" des hommes aux travers de palimpsestes de paysages archaïsants ; notament ceux d'Amérique, découverts par l'auteur lors de son exil, toutefois ombragés par l'ère nouvelle de l'Atome. Perse s'en gorge et les redistribue en des pays abstraits formés de symboles, de hiéroglyphes et de mots :
« Et nous voici maintenant sur les routes d'exode. La terre au loin brûle ses aromates. La chair grésille jusqu’à l’os. Des contrées derrière nous s’éteignent en plein feu du jour. Et la terre mise à nu montre ses clavicules jaunes gravées de signes inconnus. »
Il redonne au mot son pouvoir originel de sortilège : la clavicule est bien entendu celle de Salomon. Ou bien encore ces écailles de tortues gravées utilisées dans la divination chinoise ancienne.
C'est un lyrisme de toute majesté décharné par les vents ou la sécheresse. Ainsi purifié il va renouer avec l'ossature même de la poétique et du langage. Il y affleure quelque chose d'essentiel tant dans sa beauté quasi-hésiodique que dans son sens oraculaire le plus profond. Si ce dernier ne saute pas aux yeux, s'il est même des plus sybillins, il s'insinue pourtant et s'infuse lentement jusqu'à éclater.
« Des terres neuves, par là-bas, dans un très haut parfum d'humus et de feuillages,
Des terres neuves, par là-bas, sous l'allongement des ombres les plus vastes de ce monde,
Toute la terre aux arbres, par là-bas, sur fond de vignes noires, comme une Bible d'ombre et de fraîcheur dans le déroulement des plus beaux textes de ce monde. »