Je viens de lire coup sur coup l'Education sentimentale et Vernon Subutex, critique croisée !
Quelle surprise de voir que ces deux oeuvres sont comparables : dans leur description de la faune parisienne d'une part, et dans leur volonté d'évasion d'autre part.
Paris
Plus qu'une description, c'est surtout une étude sociologique que nous livrent les deux auteurs avec en toile de fond les évènements contemporains (prévoyez une brève relecture du cours d'histoire des changements de régime politique en 1848 pour l'éducation sentimentale).
L'éducation sentimentale tente de faire s'immiscer la romance et les sentiments au sein de la haute société plutôt caractérisée par son rationnalisme, voir son cynisme, au sein de cette société, le héros essaie se surmonter ses tiraillements amoureux.
Virginie Despentes lui préfère des personnages plus haut en couleurs et plus bas socialement. Si on sent chez Flaubert les errances politiques de son époque (capitalisme et politique connaissant leur première collusion), ce sont plus les atermoiements existentiels d'individus marginaux ou standards qui intéressent Despentes, deux faunes distinctes donc, mais abondamment décrites, en cela, Frédéric Moreau et Vernon Subutex se rejoignent, ne voulant pas vraiment d'une vie mondaine, ils cherchent à s'en écarter, à disparaître.
Autour d'eux, on regarde ces personnages se débattre contre les adversités de leur temps, d'ordre conjoncturel déjà (révolution de 1848 ou attentats de Charlie), carriériste (Dambreuse ou Kiko), religieux, amoureux...
Autre point de différence, Flaubert accompagne ses personnages sur une longue épopée d'une dizaine d'années alors que l'histoire de Despentes a une élasticité différente.
Si Flaubert s'inscrit dans les récits traditionnels de son siècle avec un héros las et alangui par l'existence, Despentes évite le conformisme du héros contemporain (dont la description pourrait faire débat, pour moi, il serait quelque part entre Sherlock et Dr House, brillant, implacable et cynique, ce à quoi ne ressemble pas vraiment Vernon).
L'objet de l'évasion Romance/Musique
C'est là l'un des points-clefs de divergence entre les deux textes. Frédéric comme Vernon veulent s'arracher à leur condition, pour le premier, ça passe par une certaine richesse et surtout par l'amour, pour le second, il s'agit surtout de s'effacer de la société et de se rattacher à ce compagnon qui jamais ne trahit : le son.
Pour Flaubert, le bonheur réside dans un couple amoureux à une époque où encore le mariage (surtout chez les nantis) reste une opération carriériste.
Un gros siècle plus tard, Despentes se détache complètement de ce cadre monogame et hétéronormé ; victoire de l'individualisme ou émergence d'une conscience commune qui explore toutes les tonalités des relations humains? Il est encore trop tôt pour le dire, mais c'est surtout la musique qui constitue ce biais libératoire. Tout au long du roman de Flaubert, on sent le carcan qui étouffe le héros, chez Despentes, les héros laissent s'exprimer ces tonalités au rythme d'une musique qui peut si bien les retranscrire.
Cette tendance à l'évasion est naturellement plus marquée chez V Despentes, ses personnages subissant plus l'aspect carcéral de la société ; leur précarité suffit-elle à expliquer ce désir ou peut-on sentir une réelle évolution des époques? Difficile de répondre aujourd'hui.
Toujours est-il que si l'Education sentimentale est devenue un classique en faisant s'adjoindre politique et émois sentimentaux, on peut naturellement souhaiter la même consécration à Vernon Subutex pour des raisons similaires.