Le tome 3 de Vernon Subutex est la pièce maîtresse de la trilogie car elle abandonne les atours de la bouffonnerie pour s'ancrer dans la littérature réelle. Du tome 1, qui se consacrait à une histoire mignonne sans grandes ambitions, on passe au tome 3 qui pose un point final sanglant, voire même un point final sérieux. Car Virginie Despentes a abandonné la satire vulgaire pour en arriver à un livre à la fois apocalyptique et prophétique. L'histoire s'ancre dans l'Histoire. En effet, les ravages du terrorisme, l'aggravation du libéralisme politique et la déliquescence des rapports sociétaux de la France du XXIème siècle rattrapent les personnages, les happent et les ramènent à leurs conditions premières : la chaire à canon. Ce qui était une fuite en dehors de la société est en réalité une propulsion dans l'Histoire de l'Humanité, et une vaine tentative de s'échapper d'une époque qui les maltraite. Pourquoi alors ce livre nous laisse-t-il une impression très importante de malaise quand les deux premiers tomes nous amusaient ? Parce que Virginie Despentes touche du doigt une vérité sous-jacente se développant dans la civilisation occidentale : l'anomie, le nihilisme, le cynisme et le retour d'une violence oubliée peut-être mais qui se cachait, hideuse, dans notre système économique et social.
Si on passe la fin un peu à la Walking Dead, le livre boucle la boucle en ramenant Vernon peu à peu au centre de l'intrigue, sans que celui-ci même ne s'en rende compte. Tous ces personnages, auxquelles nous nous étions attachés, certains cependant commençant à un peu être négligés, trouvent une forme de bonheur dans les convergences, rites un peu chamaniques atteints grâce aux talents de DJ de Vernon. Ils créent un monde à part entière sans réussir à s'affranchir totalement des gouffres béants laissés par le monde tel qu'il est. Le style s'est rafraîchi, il laisse tomber le rock pour en arriver à une écriture qui semble assez classique,par l'accumulation de plus de descriptions, par le fait que l'écrivaine prend le temps de poser certaines intrigues et de resserrer les liens. Il y a une forme de maturité dans l'écriture de Virginie Despentes comme si les récents événements l'avaient sorti d'une adolescence stylistique.
Surtout, Virginie Despentes se dévoile et nous montre un peu plus ses obsessions : le féminisme, la lutte contre le viol, l'incompréhension face à l'islamisme et la peur panique de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. Le tout mixé sous fond de rock. Mais il s'efface. L'écriture qui se nourrit de l'époque contemporaine est charmante, car se fixent sur la rétine du lecteur les horreurs de son propre quotidien, de ses propres obsessions et de son propre nihilisme. Despentes a une cruelle lucidité sur les gens, leurs façons de penser mais une certaine bienveillance à leur égard. C'est un portrait séduisant d'une citoyenne brisée par le monde qui l'entoure, un monde plus brut et plus sauvage qu'elle.