« Inherent Vice» : Devil in the details
Dans les tablées de la « rentrée littéraire » chez « Majuscule » Dunkerque, le dernier roman de Thomas Pynchon a mystérieusement atterri dans la section « Policiers, Rivages Noirs & Couvertures Flashy », catapulté à l'étage de la boutique, plutôt qu'en tête de gondole « nouveautés / fiction étrangère ». J'ai capté plus tard, en redescendant de ce trip de 350 pages king size sans chlore, la confusion du libraire : c'est justement l'un des « vices inhérents » à ce roman que de brouiller les pistes et de jouer en terrain faussement connu. D'ailleurs, même « Le Point » s'est laissé enfumer et parle de « Pynchon light » à propos de « Vice caché ». Démonstration, s'il en fallait une, qu'on ne se méfie pas assez des drogues dites « douces », les enfants. J'ai donc identifié pour preuve quelques principes actifs particulièrement puissants, qui caressent dans le sens du poil les neuro-transmetteurs « Jeffrey Lebowski » du cortex cérébral. D'abord, un souci du détail bien trop poussé pour être honnête, qui embarque le lecteur dans des considérations annexes à l'intrigue plus efficacement, mettons, qu'un joint sévèrement tassé. Absorbé par la description d'un Burger truqué ou les déboires d'un surf-band, on laisse filer L'Information Importante, celle qui ferait avancer l'enquête, mais restera au chaud dans des confins subliminaux de la mémoire quand on en aura besoin pour faire les connexions qui s'imposent ; ce n'est pas nouveau chez Pynchon, mais il faut dire que cette fois, on se sent tellement vite chez soi qu'on est d'autant mieux feinté par la suite. Il faudrait citer parmi d'autres ingrédients déréglant notoirement les sens : la profusion de femmes lascives en mini-jupes, une bande son trippée de première bourre, et l'habituelle parano carabinée dont l'effet le plus manifeste est que toute hypothèse d'enquête – et de piste narrative - est crédible ou potentiellement à côté de la plaque. Le bougre de Pynchon se plaît à nous balader au milieu de rebondissements fumeux à souhait, aussi bien qu'il malmène son détective-personnage principal au milieu d'une foule d'acolytes champions du retournement de veste, portés sur les calibres, les compléments alimentaires non homologués, les valises de billets verts vrais ou faux, la voile de plaisance (!), et j'en passe : schizo-slackers (oui), mafioso de mèche avec les fédéraux, semi-hippies, flics vicelards, et même un pré-geek accro à l'ARPAnet. Le tout baigne dans le « smog » bien épais qui plâne en suspension permanente sur L. A., aussi enfumée que le crâne du détective privé Larry Sportello, - et ce n'est pas qu'une image : rapport ou pas avec l'effet des alcaloïdes, le texte oscille tout le temps du flash lucide et précis à la conscience la plus brumeuse, et regorge d'allusions à la lumière, aussi fugace que la Vérité... A condition de se laisser intoxiquer aussi et d'inhaler profond la dope, ce roman file vraiment un bon karma, et c'est dur de ne pas s'y replonger ou de retaper fébrilement, par exemple, dans « Vineland ».
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