Quel lien entre toutes les "affaires" que suit le privé hippy Doc Sportello ? La disparition de Mickey Wolfmann, celle de Coy Harlingen, la mort de Glen Charlock, celle de l'inspecteur Indelicato, et le Croc d'or, le LAPD, le FBI ? On ne cherchera jamais vraiment à comprendre et Doc obtiendra toutes les réponses par le jeu du hasard et de ses errances psychédéliques. Le talent de conteur de Pynchon tient dans sa capacité à nous accrocher à ce récit labyrinthique et méandreux, tout en semblant nous désintéresser de l'intrigue. Le faux polar n'est qu'un prétexte à l'évocation d'une époque, celle où le vertige psychédélique de l'Amérique des années 60 se mue en une catastrophe paranoïde et où la contre-culture se perd faute d'horizon politique, celle de l'affaire Manson et de l'enlisement du Vietnam. Dans un monde où tout est devenu négociation et compromis, les rares sorties politiques de Doc ne font figure que de réflexe puéril à l'anachronisme patent, l'énergie de la révolte ayant reflué. Ce sera bientôt le Watergate, Reagan est déjà là, Gouverneur de Californie, et l'on sent que les chemins tordus empruntés à travers les connexions synaptiques inédites d'une pensée sous influence seront bientôt la norme d'une nouvelle forme de conscience qui lui succède : les prémices de l'internet.
Pourtant l'humour tient le roman et c'est par ce biais-là que le lecteur est pris. Il participe du décalage qui est au principe même de l'œuvre – ce regard de biais sur la vie qui emporte ses personnages au travers de situations dont l'invraisemblance tient surtout à la façon de les décrire.
La tonalité mélancolique du roman où les personnages ne semblent plus appartenir à un monde qu'ils ne reconnaissent pas tient à cette persistance de l'humour dans la fin. Elle est tout entière dans le sentiment de devenir inactuel.