Il serait difficile de contester l'influence majeure des biographies de Suétone sur la perception des empereurs romains du Ier siècle de notre ère tant il s'impliqua, bien plus qu'à exposer leurs actions, à détailler leur nature, la noirceur de leurs vices contrastant avec un sens certain de la vertu. Suétone fait en effet état de la modération ou de la longanimité des empereurs pour contrebalancer (assez faiblement) avec leur fond d'immoralité. L'auteur s'affaire ainsi davantage à établir des portraits moraux plutôt qu'à écrire des portraits historiques, et en ce sens, l'œuvre biographique de Suétone s'inscrit dans une lignée plus plutarquienne que Plutarque lui-même, à la fois moins scrupuleux des faits et beaucoup plus dans le jugement que le philosophe grec.
Ce qu'il y a d'étrange dans l'ouvrage lorsqu'on l'a terminé, c'est la disparité substantielle entre les biographies. D'abord, la dynastie julio-claudienne (les six premiers empereurs) occupe plus des trois quarts du livre ; on pourrait le justifier en précisant que les trois suivants, de ce qu'on appelle l'Année des quatre empereurs, eurent un règne excessivement court, mais l'auteur consacre autant de lignes aux empereurs de la dynastie flavienne. Il est également à noter la différence entre les vies de César, Auguste et Tibère avec celles de Caligula, Claude et Néron. Quelle hypothèse envisager sinon la lassitude derrière ce travail hâtivement terminé ?
Il n'est pas grand chose à dire du style de Suétone, simple et sans ornement, il se laisse lire. L'impact de l'ouvrage sur la postérité s'explique par sa facilité d'accès, sa rigueur dans le plan de ses biographies (1. Parents, naissance et jeunesse. 2. Faits historiques. 3. Vices et vertus. 4. Portrait physique. 5. Mort, présages et funérailles) et surtout par les innombrables anecdotes de débauche et d'horreur qui attisent la curiosité du lecteur. Si les historiens de l'antiquité ne remirent pas en question la fiabilité de Suétone, les critiques modernes, sans rejeter complètement le travail du Romain, s'avèrent plus dubitatifs quant au fameux mythe des empereurs fous. Pour ma part, il ne fait aucun doute que Caligula fût un véritable psychopathe : « Plût aux dieux que le peuple romain n'eût qu'une tête ! »
Quant à savoir si l'ouvrage vaut le coup d'être lu, la réponse est évidemment négative, beaucoup de détails superflus viennent s'ajouter à la narration, on n'y apprend finalement rien de l'histoire de l'empire romain et les portraits sont largement sensationnalistes.