Plutarque naît vers 45 après JC. Son œuvre, comme sa vie, fut en quelque sorte placée sous le signe de la mixité, du croisement. Je m'explique. Plutarque est un grec, non de l'époque de la grandeur d'Athènes ou de Sparte, mais du temps de l'hégémonie romaine. Ayant vécu à Rome et étudié à Athènes, maîtrisant le grec et (dans une moindre mesure) le latin, il est comme un point de jonction entre les deux civilisations. Cette dualité se retrouve jusque dans la particularité de son œuvre, puisque les Vies Parallèles se construisent autour de couples de "biographies"; à chaque vie d'un héros grec, Plutarque associe celle d'un héros romain: Démosthène et Cicéron par exemple. Chaque couple de biographies est suivi d'une comparaison des deux vies, destinée à établir lequel des deux héros a été le plus vertueux. Car l'auteur est moins historien que philosophe. Les vies ont pour but certes d'instruire sur l'histoire, mais aussi et surtout de donner aux lecteurs des modèles de vertu.
Mais ces récits nous donnent plus largement à réfléchir sur les actions des hommes et sur l'histoire, car si les actes de vertu sont légion, les passages épiques font souvent place au tragique, tant sont nombreuses les vies qui s'achèvent sur de terribles revers de fortune. Ceux-ci étant le fruit tantôt de l'ambition démesurée des personnages, tantôt de leurs erreurs ou vices (par exemple la témérité de Marcellus), ou encore d'éléments parfaitement extérieurs, l'ouvrage nous donne autant de modèles à imiter que d'exemples à ne pas suivre.
On ne peut que regretter que plusieurs vies aient été perdues, surtout quand on sait que certaines concernaient de très grands personnages (au moins l'un des deux Scipion des guerres puniques par exemple). Mais l'ouvrage (du moins l'édition que nous en avons) comporte tout de même 48 vies, en moyenne de 25 à 35 pages (mais certaines en contiennent plus du double, notamment pour les personnages de l'époque des guerres civiles romaines).
Il y a donc de quoi lire, et la lecture des vies parallèles ravira tant les amateurs d'histoire, qui y trouveront, outre un récit succinct des évènements, de précieuses indications sur les rites et institutions (voir par exemple la vie de Lycurgue, riche en détails sur les institutions de Sparte), que les amateurs de philosophies morale et politique. Profitons-en pour ajouter que l'édition Quarto Gallimard (la seule que j'aie pu consulter), est très riche en notes de bas de page et informations complémentaires, qui viennent compléter un récit parfois approximatif, voire inexact.
Nous avons de nombreuses raisons de nous replonger dans ce monument d'écriture qui, plutôt délaissé de nos jours, a longtemps été un ouvrage de référence, notamment au XVIIIe siècle (il suffit de voir ce qu'en a dit Rousseau, ou l'utilisation qu'en a fait Montesquieu).