Je ne vous le cache pas, ce fut difficile et j'ai probablement perdu en attention au fil de la lecture.
Vilnius Poker, c'est un cri de rage adressé à la ville de Vilnius sous l'occupation soviétique. Quatre points de vue se succèdent à cet effet, dont le premier occupe plus de 300 pages sur 541. C'est ce point de vue de Vytautas Vargalys qui constitue donc l'essentiel du récit, les suivants en sont surtout des commentaires et des variations. Le programme est donc de rendre compte du désespoir ressenti par le peuple lituanien.
Lire Vilnius Poker, c'est comme décider de passer ses vacances aux côtés d'une personne bourrée qui va te cracher sa haine du monde à longueur de temps. Il va te sortir tout le champ lexical du dégoût pour l'attribuer à chaque pierre de Vilnius, il va te dénigrer la totalité des passants qu'il croise et leur apathie supposée, il va mettre tout son malheur sur le dos d'un groupuscule invincible que lui seul reconnaît. Et dès qu'il croise une femme sa première pensée concernera son envie de lui palper les loches (attention, contenu sexuel très cru tout au long du bouquin), tout en craignant qu'il s'agisse d'une créature du diable tentatrice venue lui vider l'âme par une manœuvre abjecte (à savoir exister). Il va monologuer inlassablement, sans respiration ni construction, il balancera tout ce qui lui passe par la tête comme ça lui vient. C'est ça, le support pour découvrir ce mal-être. Et c'est très fatigant.
Je comprends que l'on se passionne pour ce genre de diatribe qui n'épargne rien et ne ménage jamais son énergie, trouvant des figures poétiques en toutes circonstances. Mais comme pour tout poivrot, le discours est une logorrhée éreintante qui m'a autant blasé qu'un film d'horreur qui passerait 2h non-stop à balancer le ketchup et les hurlements. Vytautas radote en plus énormément, revenant bien 3 fois sur les mêmes personnalités qui furent dans la confidence qu'il entretient, comme Hitler/Staline ou des artistes clairvoyants comme Polanski, frappés par une force supérieure voulant les faire taire. Le récit ne respire jamais comme si le livre ne pouvait pas dessaouler, il nous emprisonne dans la vision du monde de Vytautas et on subit sa présence plutôt que de l'observer. Même les dialogues sont ampoulés, les rares répliques se montrant théâtralisées à un point qui nous fait renoncer à toute notion de naturel. Cela plaira aux amateurs d'élans lyriques, mais ça m'a coupé des personnages qui transpirent le fantasme.
Viennent ensuite les changements de narrateur qui apportent une remise en question de ce que l'on savait, rappelant si besoin était que l'on suivait un point de vue très biaisé. Cette touche de lucidité m'a plu un temps, mais le récit s'enchaîne sur de nouvelles logorrhées qui montrent bien que ce mal est contagieux, prenant simplement une forme différente dans l'imaginaire de chacun. Ça philosophe à tout va, ça se perd en digressions qui traduisent des esprits clairsemés, c'est révélateur de la perte de repères des personnages mais c'est fort pénible à lire. Je me doute qu'une lecture ne doit pas nécessairement être agréable, surtout pour traduire un sentiment général aussi étouffant, mais le faire non-stop sur plus de 500 pages dont beaucoup trop tournent en rond, c'est tout simplement trop démotivant.
Je conçois l'envie de ne faire aucune concession et de mettre la tête du lecteur dans la merde que doivent renifler les personnages, elle a sa légitimité à une certaine dose mais ici je me suis sent très vite détaché du récit. Je me suis forcé à le finir, mais très vite j'ai senti que ça ne servait à rien que je persévère. Je n'avais pas envie d'écouter ces personnages qui se mettent en scène, alors que leurs tourments sont pour la plupart légitimes. Je peux comprendre que ce livre ait constitué un cri de ralliement pour les lituaniens mais je le trouve indigeste. J'ai fini par ne plus m'émouvoir de rien, je suivais les atrocités avec 2 de tension. Le Vytautas Vargalys que l'on me vend comme un fou magnifique et passionnant, je trouve que c'est un vrai beauf brutal et méprisant et cela m'empêche de le voir comme une figure tragique ou d'être en empathie pour lui. Pourquoi suivre quelqu'un qui m'exaspère autant ?