Tuer la mère
Un livre écrit dans un français absolument superbe, traduisant à merveille une progression, un basculement, inédit et sans équivalent dans la littérature, de son narrateur à travers un monde fait de...
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le 5 mai 2013
18 j'aime
J'ai toujours eu du mal avec les œuvres (romans ou films) traitant de l'enfance. Non que je ne sache les apprécier : j'ai adoré aussi bien L'Incompris, de Comencini, que Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier. C'est juste que je ne suis pas du tout attiré par ces œuvres, pour une raison que j'ignore. On a beau m'en vanter les mérites, tout à fait justifiés, je n'en doute pas un instant, je n'ai pas du tout envie de les voir/les lire.
Du coup, j'ai du retard dans cette catégorie. Il y a deux ans seulement j'ai lu (et apprécié) le roman d'Alain-Fournier. Et ce n'est que cette année que je découvre cette célébrissime Vipère au poing.
Alors, pas de surprise sur l'histoire racontée : conflit entre fils et mère, sur fond de grande bourgeoisie pourrissante. Autobiographie à peine romancée, Jean-Pierre Hervé-Bazin devenant Jean Rezeau, les prénoms des protagonistes étant respectés, les lieux, les circonstances familiales itou.
Bazin insiste sur le côté formateur de ce conflit. D'abord, sont en présence deux ennemis mortels (car il y a volonté de tuer, au moins du côté des enfants qui cherchent à éliminer Folcoche) qui se connaissent et en viennent à apprécier leur combat. Lorsque Jean est parti avec son père, il regrette d'être éloigné de sa mère et il se languit du conflit et de la présence envahissante de l'adversaire. Comme si la guerre familiale était devenue une raison de vivre, un élément constitutif de l'existence terne de Brasse-Bouillon.
Ce rapport étrange entre mère et fils est encore accentué par la ressemblance entre els deux personnages. Plusieurs fois, le narrateur insiste sur tout ce qu'il a pris à sa mère, ce caractère de cochon, cette volonté de domination, etc. Si, des trois enfants, c'est sur Jean que se décharge la plus grande violence, c'est que Folcoche s'y reconnaît. Comme deux aimants vont rejeter leur pôle identique.
D'un certain côté, on peut dire que Vipère au poing est un roman d'apprentissage. Les derniers chapitres nous montrent pratiquement un passage à l'âge adulte, où les idéaux de Jean vont se forger en opposition à ceux de sa mère, rejetant toute forme de domination, rejetant la religion, penchant du côté communiste... Tout une série de choix que le narrateur montre bien comme étant dicté par un souci d'opposition.
Et comme ce roman est celui de la fin de l'enfance, il se veut aussi celui de la fin d'une classe sociale.
Bazin décrit par le détail une sorte de haute bourgeoisie qui se comporte comme une aristocratie : le père oisif à la maison, le précepteur (parce qu'on ne peut pas mêler nos enfants à ceux du collège), les fermes qui appartiennent à la famille, les privilèges et toute une idée de la hiérarchie sociale au sommet de laquelle trônerait "une quarantaine de familles", dont les Rezeau.
Bazin nous décrit ce monde désuet comme engoncé dans des rituels vides, ridiculement accroché à des traditions qui sont des coquilles vides, ilots réactionnaires dans un monde qui change (nous sommes en plein Front Populaire : voir le dialogue entre le père et un Communiste dans le train).
Vipère au poing est très bien écrit. La narration est remarquable et rend le livre passionnant. Le cynisme permanent du narrateur apporte une certaine dimension comique à l'ensemble. L'ensemble des références culturelles semble vouloir transformer ce conflit en une épopée.
Et ça ne marche pas toujours. Si on peut dire sans problème que le roman se lit vite et de façon agréable, par contre il est parfois lourdement insistant et ne rechigne pas sur la digression ou la répétition.
Mais c'est un bon roman, vraiment plaisant.
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Créée
le 9 sept. 2015
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