Viviane Elisabeth Fauville en mille morceaux.

«Vous êtes Viviane Elisabeth Fauville, épouse Hermant. Vous avez quarante-deux ans et, le 23 août, vous avez donné naissance à votre premier enfant, qui restera sans doute l’unique.»


Viviane Elisabeth Fauville a un bébé âgé de seulement douze semaines, son mari l’a quittée quelques semaines plus tôt et elle a emménagé dans un appartement dans lequel les cartons de déménagement sont encore presque tous intacts. Désorientée, perdue, elle a appelé son psychanalyste à l’aide qui a eu pour seule réponse sa neutralité froide et sa démarche psychanalytique au long cours. Alors, dans un moment de rage, elle l’a tué en le poignardant avec un couteau de cuisine de luxe, cadeau de mariage de sa mère qui se trouvait opportunément dans son sac au moment de la séance. Là, elle a perdu la mémoire et la raison, à moins qu’elle n’ait été complètement fêlée depuis toujours ?


«Vous n’êtes pas tout à fait sûre, mais il vous semble que, quatre ou cinq heures plus tôt, vous avez fait quelque chose que vous n’auriez pas dû. Vous tâchez de vous remémorer l’enchaînement de vos gestes, d’en reconstituer le fil, mais chaque fois que vous en tenez un, au lieu d’attirer mécaniquement le souvenir du suivant, il retombe à plat dans le trou qu’est devenue votre mémoire.»


La police, logiquement, enquête sur le meurtre. Bourgeoise quadragénaire avec un bébé en bas âge, cadre d’entreprise bien installée dans son poste de responsable de la communication pour les Bétons Biron, Viviane Elisabeth Fauville n’a rien d’une coupable, et les enquêteurs portent leur attention sur des suspects plus prometteurs. Viviane Elisabeth Fauville se pense invisible, et mène dans Paris une enquête parallèle aux buts obscurs et fous. On suit sa dérive intérieure et ses errements dans des rues et des lieux de Paris décrits avec une précision d'enquêteur, tandis qu’elle suit et aborde les suspects pour connaître leur vie.


Empruntant les ingrédients d’une intrigue policière, ce premier roman très réussi de Julia Deck (éditions de Minuit, 2012) emporte le lecteur dans une enquête psychanalytique, dans les brumes mentales de cette femme à l’identité fracturée, dont les seuls points d’ancrage sont sa fille, chose immobile et sage dans son berceau, et l’appartement de sa mère décédée qu’elle refuse de vendre en dépit du bon sens.


Derrière l’histoire individuelle de cette femme en morceaux affleurent avec beaucoup d'humour des messages grinçants sur la bourgeoisie et le déclassement social, la violence des relations professionnelles, et les dictats plus ou moins impératifs adressés aux femmes.


«Au bout de la rue Louis Blanc, les Sri-Lankais cèdent la place à une population plus cosmopolite, proposant des cigarettes de contrebande ou plantée au milieu du boulevard avec des caddies de marrons chauds, et vous songez qu’il y a loin de ces marrons-ci à ceux qu’on vous offrait devant les vitrines animées du boulevard Haussmann lorsque vous étiez encore une vraie bourgeoise, circulant du 5e au 16e arrondissement entre les appartements de votre mère et de vos grands-parents, dans la bienheureuse ignorance de cet est parisien où logent les classes sociales intermédiaires et sévissent les tueurs en série.»


Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/04/05/note-de-lecture-viviane-elisabeth-fauville-julia-deck/

MarianneL
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le 5 avr. 2015

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MarianneL

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