J’en avais vaguement entendu parler. Je m’étais dit d’emblée « Non, vraiment, pas pour moi ». Un livre où une femme raconte la disparition accidentelle de son compagnon, les faits, sa peine. Non, vraiment, pas pour moi. Et puis, quel intérêt, une sorte de voyeurisme, et le risque de souffrir par procuration. Non, vraiment, quel intérêt. Donc j’ai oublié ce titre « Vivre vite » et je suis passée à autre chose.
On m’a offert ce prix Goncourt à Noël. Probablement parce que c’est une valeur sûre… Pour moi parce que j’aime lire, et parce qu’un Goncourt a forcément quelque chose de remarquable, qui percute.
Tout est dit. Remarquable et percutant. L’amour de la vie, le besoin d’expliquer et de rechercher une responsabilité quand une effraction se produit. Vivre vite, ce sont des mots repris de Lou Reed, le côté rock provoc rebelle, c’est aussi l’état d’esprit de vivre intensément le présent, peut-être un credo de motard. Le texte se lit vite, trop vite peut-être là aussi, avec une tension haletante, mais un ton juste, qui touche.
Ce drame s’est produit dans la vie de l’écrivaine il y a plus de vingt ans. Paradoxalement, Vivre vite est devenu lenteur et décalage, obsessions et répétitions. Que veut dire « Se remettre d’un chagrin» … ? Il y a la volonté de rêver une réalité possible sans le concours des circonstances qui ont conduit à l’accident : avec tous ces « si… », on peut refaire le monde sans fin. Brigitte Giraud déroule dans son récit le factuel cru, incompréhensible, douloureux. Les faits que l’on décortique pour tenter de savoir et comprendre, les émotions que l’on vit ou qu’on imagine pour l’autre, la symbolique d’une maison qui permet de construire l’avenir et qui en même temps enferme… Pourtant, je n’ai pas vu dominer la violence, la colère, l’amertume, ou les reproches. Au contraire, ce recul du temps patine les émotions et les souvenirs incrustés, et finit par sublimer le meilleur de l’histoire d’amour, et de l’homme qui a disparu.
Se remettre d’un chagrin, c’est retrouver intactes ces sensations intimes, faites de séduction mystérieuse et de complicité joyeuse, qui viennent enfin combler une part du vide et créer une continuité. C’est aussi admettre enfin que, dans la complexité des liens entre nos choix et les circonstances, le destin nous échappe toujours.